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Sur l’arc républicain malien, la question des héritiers nourrit les débats depuis le putsch militaire du 19 novembre 1968 du lieutenant Moussa Traoré contre Modibo Keïta, premier président du Mali indépendant. C’était la première tentative de mise à terre de la République…

D’autres tentatives s’en suivront avec les putschs militaires successifs du Mali. Ceci dit, que signifie la notion d’héritier politique ? Un héritier, c’est avant tout le continuateur d’une œuvre, d’une vision de la société d’un héritage. Cenemogo en Bambara, Tubukasine en Songhay, l’héritier saisit l’héritage. Légitime, testamentaire, spirituel, intellectuel, il s’approprie l’œuvre de son prédécesseur, celui qu’il incarne. Dans ce cadre, les choix d’un héritier politique s’enracinent dans le passé de son prédécesseur, sans que le lien les unissant ne devienne une camisole d’acier.

Ainsi, en septembre 1960, Modibo Keïta s’inspire de l’œuvre de son mentor, Mamadou Konaté, pour conduire le Mali à l’indépendance après l’éclatement de l’éphémère fédération du Mali. Rappelons que Konaté fut en 1946 un des premiers parlementaires soudanais au Palais Bourbon sous les couleurs de l’US-RDA, Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain.

Son héritier, Modibo Keïta, travaille à l’amélioration des conditions de vie des Maliens par la création de sociétés d’État : Air Mali, Somiex, etc. Keïta installera définitivement la 1ere République, consacrée par la devise : Un peuple, Un but, Une foi.

Les exclus de l’arc républicain

Mais pour les héritiers de Keïta, le régime de son successeur (Moussa Traoré) ressemblait à un parcours du combattant. Ma grand-mère me racontait comment le régime de Traoré régnait par la peur. « Lors d’une des tournées de Moussa Traoré à Gao, un de ses garde-corps a descendu les pigeons survolant le gouvernorat où le président accueillait les notables de la cité des Askia ».

Une scène qui se raconte encore dans les villages. Elle traduit le contexte de mystification dans lequel les héritiers du régime de Keïta devaient se battre pour pérenniser leurs idéaux : démocratie, République, unité africaine. En mars 1980, le leader de l’Union des élèves et étudiants du Mali (UNEEM), Abdoul Karim Camara (24 ans) meurt sous la torture alors qu’il demandait l’amélioration des conditions de vie des élèves et des étudiants du Mali. Mais en mars 1991, les héritiers de Keïta l’emportent sur Moussa Traoré, après 23 ans de règne.

Je me rappelle encore la façon dont ma grand-mère me racontait la déchéance du pouvoir de Traoré. Fine connaisseuse de l’histoire du village et des familles, elle avait le don de théâtraliser son discours pour lui donner une certaine épaisseur. Elle savait aussi adapter son discours, sans le falsifier, pour ne pas heurter la sensibilité de l’auditoire.

Voilà ce qu’elle m’expliquait à propos du jour de la chute du régime de Traoré. « Tôt le matin, un de mes neveux du quartier, Gani, vient m’informer de l’arrestation de Moussa Traoré par un certain Amadou Toumani Touré. D’après mon neveu, Moussa Traoré a été ficelé à l’image d’un panier de noix de cola. Il a appris l’information sur la Radio Mali », dixit ma grand-mère. Il n’y avait encore ni radios libres ni réseaux sociaux. Ceci dit, les héritiers de Modibo Keïta, majoritaires dans le mouvement démocratique, triomphent contre les séquestrations, la prison, l’exil… Force est de constater que le risque d’exclusion des héritiers de Traoré de l’arc républicain est permanent en raison de la difficile acceptation sociale et politique de son régime par une partie des Maliens.

L’histoire du Mali postcolonial, une mousson

Le fait est que les héritiers politiques des différents présidents élus se sont toujours mobilisés pour rétablir la République. Le 26 avril 1992, après un an de transition militaire d’Amadou Toumani Touré (ATT), la République est restaurée avec l’élection d’Alpha Oumar Konaré sous les couleurs de l’Adema-PASJ, Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice, créée en mai 1991. Plus de 30 ans après, réunis essentiellement au sein de l’Adema-PASJ, les héritiers de Konaré rasent les murs pour l’heure. Autre exemple, la mobilisation des héritiers d’ATT contre le putsch militaire du capitaine Amadou Haya Sanogo du 22 mars 2012.

Laquelle mobilisation a abouti à l’application de l’article 36 de la constitution de février 1992. Ainsi, le 12 avril 2012, le président de l’Assemblée nationale, le Professeur Dioncounda Traoré, devient président de la transition malienne. Le 4 septembre 2013, Dioncounda Traoré cède le fauteuil du palais de Koulouba à Monsieur Ibrahim Boubacar Keïta, élu président de la République.

Concluons. L’histoire du Mali postcolonial ressemble à la mousson, à l’origine des précipitations qui ravagent tout sur leur passage. Il n’est pas facile, connaissant notre sociohistoire, d’avoir un débat d’idées serein sur les héritiers sans enfermer l’histoire dans une certaine partialité. Ni révisionnisme, ni prophétisme, ce qu’il faut comprendre dans ce débat d’idées, c’est le lien entre les valeurs des hommes d’État pour changer une nation et leur cohérence avec les attentes du peuple sans faire l’impasse sur les réactions que cela suscitera.



Mohamed Amara

Sociologue

Source : Mali Tribune

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