Objet : Suppression de la subvention de l’État à l’Église catholique pour l’enseignement. Monsieur le Président de la Transition, Les écoles de l’Eglise catholique du Mali font actuellement face à une menace sérieuse de suppression ou de réduction drastique de la subvention que l’Etat leur paye pour la prise en charge de 80 % de la masse salariale de leurs enseignants…
La mise à exécution de cette menace priverait à coup sûr de
nombreux enfants maliens d’accès à une éducation de qualité et de nombreux enseignants de leurs emplois. Je vous adresse cette lettre pour plaider leur cause, mais aussi pour que le pôle d’excellence que sont les écoles de l’Eglise catholique dans notre système éducatif ne soit pas mis à mal.
L’enseignement catholique en 2024, c’est près de 40 000 élèves multiconfessionnels dont 80 % sont de confession musulmane et 1 600 enseignants en 2024 dont 44 % sont de confession musulmane.
Je vous remercie déjà pour la promptitude avec laquelle vous avez instruit au gouvernement de suspendre sa décision de suppression de ladite subvention dès janvier 2025, une décision unilatérale,
brutale, mal fondée et injuste qui a soulevé un émoi rarissime dans le pays.
La menace n’étant pas définitivement écartée, je vous exhorte à vous impliquer afin que l’Etat ne fragilise pas ce pôle d’excellence du système éducatif malien avec les conséquences citées ci-dessus. Faites le pour le bien du Mali et au nom du droit fondamental de chaque enfant malien à l’éducation.
Rappel des faits :
Dès l’indépendance du Mali en 1960, le Gouvernement a reconnu d’utilité publique les écoles de
l’Eglise catholique car elles fournissent un service d’intérêt général dont personne ne tire un
enrichissement personnel. L’Etat a donc scellé un partenariat d’enseignement avec elle à travers une
Convention conclue en 1972 et révisée en 1978 qui dispose que :
✓ l’Enseignement Privé Catholique est un service d’intérêt général ;
✓ les ordres d’enseignement de l’Enseignement Privé Catholique sont placés sous l’autorité du
Ministre de l’Education Nationale ;
✓ l’Enseignement Privé Catholique est respectueux de la liberté de conscience. Il accueille dans
ses établissements tous les enfants sans distinction aucune ;
✓ les établissements de l’Enseignement Privé Catholique sont soumis au contrôle permanent du
Gouvernement sur le plan pédagogique, administratif, sanitaire et financier ;
✓ toutes les orientations d’élèves du secondaire vers l’Enseignement Privé Catholique se font au
niveau du service psycho-technique du Ministère de l’Education Nationale, exception faite des
élèves devant suivre une formation religieuse pour servir l’Eglise ;
✓ le Gouvernement accorde à l’Enseignement Privé Catholique une aide permettant de payer au
moins 80 % de la masse salariale des enseignants de ses écoles.
Depuis 2018 le gouvernement a ramené la subvention à un montant fixe de 2,5 milliards largement
inférieur à celui calculé selon la Convention (3 milliards en 1978 et 4 milliards en 2024). Il a décidé récemment de sa suppression à compter de janvier 2025 en mettant l’Eglise catholique devant le fait
accompli. En réaction à cette privation brutale de ressources, celle-ci a décidé de la suspension des
activités pédagogiques de ses écoles concernées sur l’année scolaire 2024-2025, le temps de trouver
des moyens alternatifs de financement.
Lors du Conseil de cabinet du 19/08/24 sur la question portant sur le sujet, le Premier Ministre a fait
un discours pour justifier cette décision du gouvernement qui a profondément choqué nos
compatriotes. Mais deux jours plus tard, il a fait un rétropédalage pour annoncer la suspension de la
suppression pour l’année scolaire 2024-2025 sur instruction du Président de la transition en attendant
de trouver une solution définitive concertée avec l’Eglise catholique.
La suppression de la subvention par le Gouvernement : une décision unilatérale, brutale, mal
fondée et injuste :
▪ Une décision unilatérale et brutale : le rappel des faits qui précèdent montre clairement que la
suppression de la subvention est une décision prise unilatéralement par le Gouvernement qui n’en
a informé l’Eglise catholique qu’à peine deux mois avant la rentrée scolaire 2024-2025. Par
respect pour son partenaire de longue date qu’est l’Église catholique (plus de 50 ans de
partenariat), le gouvernement aurait dû privilégier une solution concertée donnant suffisamment
de temps à l’Eglise catholique de revoir le modèle de financement de ses écoles ;
▪ Une décision mal fondée et injuste : le Premier Ministre a avancé trois principaux arguments
pour justifier la suppression de la subvention : l’égalité de traitement entre toutes les écoles
privées, le respect du principe de laïcité de l’État, et la nécessité de rationaliser les dépenses
publiques dans un contexte de guerre.
1 Égalité de traitement des écoles privées : Le Premier ministre a déclaré qu’«il est difficile de
subventionner certaines écoles au détriment d’autres ». Cet argument ne tient pas car il
procède de l’amalgame délibéré entre écoles privées sources d’enrichissement personnel de
promoteurs privés et écoles de l’Eglise catholique qui ne sont sources d’enrichissement pour
personne. Partant du principe que l’argent public ne doit pas être source d’enrichissement
personnel, il est tout-à fait légitime que l’Etat subventionne les écoles de l’Eglise catholique
et pas les autres écoles privées. Plus grave, le Premier Ministre jette la suspicion sur les écoles
de l’Eglise catholique en annonçant que certaines écoles privées ont été créées avec de faux
papiers ce qui n’est pas le cas des écoles de l’Enseignement Privé Catholique ;
2 Respect du principe de laïcité : selon le Premier Ministre, subventionner les écoles
catholiques constituerait une rupture du principe de laïcité. Dire cela c’est ignoré les règles
régissant le partenariat Etat-Eglise présentées dans les développements qui précèdent dont le
respect conditionne l’octroi de la subvention publique. Aussi, invoquer la laïcité pour justifier
la suppression de la subvention relève d’une dangereuse instrumentalisation de celle-ci à un
moment où l’Etat est en guerre contre des terroristes qui conteste sa laïcité.
3 Faiblesse des ressources et rationalisation des dépenses d’un Etat en guerre : argument tout
aussi irrecevable pour justifier la suppression d’une subvention de 2,5 milliards qui priverait
des enfants maliens de scolarité et leurs enseignants d’emplois. Quel que soit le niveau des
ressources de l’Etat, leur allocation aux dépenses publiques est un arbitrage qui doit assurer
un certain équilibre dans la couverture des besoins essentiels des populations. Rationnaliser
les dépenses publiques, c’est optimisé l’allocation des ressources de l’Etat et non la
suppression pure et simple de dépenses essentielles pour les populations. Imaginez les
conséquences d’une chirurgie qui, pour soigner le corps humain, se borne à en couper et jeter
des parties au lieu de faire les réparations nécessaires et possibles !!! Si tant est que le
Gouvernement veut rationaliser les dépenses publiques qu’il s’engage dans une réduction
substantielle du train de vie de l’Etat, une mesure très attendue par nos compatriotes qui ont fortement contesté le niveau élevé de certains postes de dépense du budget 2024 relatif à ce
train de vie.
Mes recommandations
Au regard des développements qui précèdent, il apparaît très clairement qu’à date :
✓ le partenariat Etat-Eglise catholique est un enjeu majeur pour le système éducatif du Mali pour
au moins trois raisons : l’importance du nombre d’élèves et d’enseignants multiconfessionnels
concernés, la qualité de l’enseignement dispensé à ces élèves et la grande faiblesse des capacités
actuelles de l’école publique. Le subventionnement public des écoles de l’Eglise catholique est
donc loin d’être une simple question comptable de réduction des dépenses publiques de 2,5
milliards ;
✓ actuellement, de par les dispositions de la Convention exposées dans les développements qui
précèdent, l’Enseignement Privé Catholique s’apparente à un démembrement du Ministère de
l’Education Nationale.
Donc, toute mesure de suppression ou réduction importante de la subvention à court terme affaiblirait
les performances de notre système éducatif, l’Enseignement public n’étant actuellement pas en
capacité de prendre la relève de l’Enseignement Privé Catholique.
Je vous prie donc Monsieur Le Président de bien vouloir :
▪ Instruire au gouvernement de vous fournir une étude d’impacts complète des effets d’une
éventuelle suppression ou réduction importante de la subvention avant d’en décider : impacts sur
les performances du système éducatif, impacts sur le budget de l’Etat, etc. C’est par exemple une
illusion de croire que la suppression des 2,5 milliards de subvention se traduirait par une
économie de même montant pour le budget de l’Etat car l’école publique devra accueillir un
nombre beaucoup plus élevé d’élèves et les dépenses du Ministère de l’Education Nationale
devront donc augmenter pour y faire face (investissement dans les infrastructures scolaires,
augmentation du nombre d’enseignants, etc.) ;
▪ Veiller à ce que :
✓ les arguments avancés jusqu’à présent par le gouvernement pour justifier la suppression de
la subvention ne prospèrent dans le processus de prise de décision car ils ne sont pas
pertinents comme démontré dans les développements qui précèdent ;
✓ la solution choisie n’affaiblisse pas notre système éducatif déjà mal en point, qu’elle soit le
résultat d’une concertation crédible avec l’Eglise catholique et acceptée par les deux parties.
Mon avis personnel est qu’à défaut de pouvoir augmenter le montant de la subvention que l’Etat ne
le réduise pas à court et moyen termes. Nos compatriotes comprendront difficilement que l’Etat ne
soit pas en mesure d’allouer 2,5 milliards de ses ressources à un enjeu aussi important. Toute
suppression ou réduction significative de la subvention doit s’inscrire dans le cadre d’un plan à long
terme de refondation de notre système éducatif.
Sauvegarder l’Enseignement Privé Catholique du Mali sous sa forme actuelle et dans les conditions
actuelles, c’est favorisé l’égalité d’accès de tous les enfants maliens à une éducation de qualité.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la Transition, l’expression de ma très haute
considération.
Konimba Sidibé,
Ancien ministre, ancien député