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L’économie maritime a fait la fortune de ceux qui ont le nez assez fin pour savoir que là où il y a des rats, il y a de la ripaille à contrôler pour prendre le contrôle des quais et brasser par milliards l’argent qui n’a pas d’odeur comme nous l’a appris le Romain Vespacien. Ayant appris la leçon avant de céder à 100%, le 21 décembre 2022, son gâteau Bolloré Africa Logistics face à « une offre qui ne se refuse pas » de 5,7 milliards d’euros de l’armateur italo-suisse MSC disputant au danois Maersk la place de numéro un mondial du transport maritime de conteneurs, Vincent Bolloré a laissé un boulevard à des rats d’un tout autre type au Port autonome de Dakar…

Confidentiel Afrique publie dans son intégralité la brillantissime et très bien fouillée enquête du journaliste Charles FAYE sur les dessous de la guerre implacable des docks dans les eaux profondes sénégalaises où se joue, urbi orbi la dernière carte du puzzle qui relance l’épineux enjeu industriel et portuaire de l’économie sénégalaise.

PORT – De retour au Port Autonome de Dakar en 2013, six ans après en avoir été chassé suite à ses rapports heurtés avec le régime de Me Abdoulaye Wade, le groupe Bolloré, dans le transport, la logistique, la distribution d’énergie et le film plastique ultra fin quitte Dakar en 2022 après avoir signé en grande pompe un contrat de concession du terminal roulier d’un montant de 64 milliards FCFA sur 25 ans, « pour faire du Port de Dakar, l’un des plus performants d’Afrique de l’Ouest ».



Le temps de Bolloré …

Onze ans après le retour de Bolloré dans les docks dakaoirois et deux ans après son départ définitif desdits docs, le Premier Ousmane Sonko déclare sans ambages que le port de Dakar n’est pas l’un des plus performants en Afrique de l’Ouest. Pire, « il a perdu de sa performance ».

Ce port qui existe depuis 1865, qui a vu par ailleurs Bolloré père y développer ses affaires depuis 1926, est une pâle copie de l’ambition qu’il s’était fixé : devenir un géant du continent, voire du monde, tant le pays, porte d’entrée de l’Afrique de l’Ouest, a tout pour être un hub portuaire. Plus de 700 km de côtes, en plus de ses ports secs.

En dépit de toutes les promesses, des prix honorifiques décernés par-ci et par-là, du retour en 2013 du « premier opérateur de partenariats publics privés portuaires sur le continent africain, avec une trentaine de concessions, dont une quinzaine de types portuaires, selon le président du groupe Africa Bolloré Logistique, Dominique Lafont », le port de Dakar est en rade en 2024.

Le projet Bolloré n’a fait pas plus du port de Dakar un géant malgré « d’importants moyens financiers, matériels et humains » du groupe prévoyant « de créer un terminal roulier par l’aménagement, l’extension et l’équipement des emprises dites du Mole 2 de la zone du Port de Dakar » afin de permettre au terminal roulier aux armateurs et opérateurs sénégalais, importateurs ou exportateurs, « de bénéficier d’un service complet, intégré et totalement informatisé, allant du déchargement au chargement des navires jusqu’à la mise à disposition des marchandises ».

Le PAD ne parvient toujours à s’imposer. Malgré l’entrée dans la danse du koweitien DP World dans les années de disgrâce de Bolloré ; du premier investissement de 64 milliards FCFA annoncé en 2013 par Bolloré devant déboucher sur « un vaste programme d’investissement » pour donner un nouveau visage au terminal roulier grâce à l’aménagement complet des Moles 2 et 8 et son extension, approfondissement des quais Est et création d’une infrastructure de stationnement de 3 étages pour les véhicules » ; la création annoncée de « plus de 1 000 emplois directs et 1 000 autres indirects ».

Bolloré parti, le port n’est pas mieux loti en dépit de l’intérêt que lui porte le géant portuaire belge, Anvers, avec lequel le Port autonome de Dakar signe le 2 mars 2018 un protocole de coopération « mutuellement bénéfique dans le domaine du marketing et du développement de leurs affaires respectives ». Termes fourre-tout auxquels on ne comprend que dalle, à moins d’être initiés. Mais, il n’y a pas que les Belges qui s’intéressent à Dakar et qui font d’ailleurs plusieurs allers-retours depuis 2018 (Bolloré était encore à Dakar) particulièrement depuis la visite de Son Altesse Royale la Princesse Astrid dans le cadre de la première mission économique belge au Sénégal du 21 au 25 mai 2023.

L’intérêt du Port d’Anvers pour Dakar



Représentant Sa Majesté le Roi, la princesse cheffe de la délégation belge se rendait à Dakar, Diamniadio et la région de Fatick-Mbellacadiao pour discuter de la logistique portuaire et intermodale, du secteur pharmaceutiques et les biotechnologies, de l’agro-alimentaire, des énergies renouvelables, de l’eau et l’environnement, les industries créatives. Autant de secteurs dont la transformation à forte valeur ajoutée passe obligatoirement par le port de Dakar pour les exportations et qui plus est par des navires partenaires. C’est ce qui s’appelle avoir de la suite dans les idées. C’est dire qu’il n’existe pas de grands ports sans des industries à côté

Près de 100 chefs d’entreprises belges avaient fait le voyage, parmi lesquels le géant portuaire belge qui n’entend pas lâcher prise.

On ne peut pas être le numéro 1 en Belgique et le numéro 2 sur le plan européen, couvrir une superficie de 130 kilomètres carrés avec une offre de longueur de quais de 160 kilomètres, être en Europe le plus grand port pour les marchandises diverses, traiter le plus grand volume d’acier, de produits aquatiques et de fruits, disposer de terminaux dédiés pour les conteneurs, le secteur automobile, l’acier, le charbon, les céréales, le bois, les engrais, etc., se classer en deuxième position des ports à conteneurs en Europe avec une gestion de cargaisons représentant plus de 223 millions de tonnes et plus de 10 millions de conteneurs l’année et rater une relation gagnant-gagnant avec le Port Autonome de Dakar. Surtout quand on est depuis de longue date le premier port en Europe en ce qui concerne les trafics avec le continent africain. En effet, chaque année, plus de 15 millions de tonnes sont échangées entre le port d’Anvers et l’Afrique.

Certes, il n’y a pas que les Belges qui s’intéressent au port de Dakar, mails leurs nombreux allers-retours renseignent sur leur ambition. L’étude de la Desserte de Bamako : Diagnostic et amélioration des enseignants-chercheurs Issakha Dia et Salif Gaye, respectivement assistant, Laboratoire de Matériaux et d’Energetique (LME), Institut Universitaire de Technologie, Université de Thiès et Professeur titulaire, Laboratoire de Matériaux et d’Energetique (LME), Institut Universitaire de Technologie, Université de Thiès ne montre pas le contraire, même s’il faut noter que l’ambition des portuaires belges va au-delà de ladite desserte.

En eau profonde capable d’accueillir des navires à fort tirant d’eau et fonctionnant 24 heures/24 et 7jours/7, le port de Dakar à la « croisée des routes maritimes reliant l’Amérique du Sud à l’Europe, l’Amérique du Nord à l’Afrique du Sud », bénéficie d’une situation géographique exceptionnelle. Avec un atout qui permet d’accueillir des navires venant de l’Amérique du nord et de l’Europe 2 à 3 jours par rapport à ses concurrents situés dans le golfe de Guinée à l’exemple du port d’Abidjan. A noter cependant qu’Abidjan qui s’est toujours positionnée en concurrente de Dakar a su faire les investissements nécessaires pour ne pas perdre de la distance vis-à-vis de sa rivale. « Malgré une position moins favorisée par la nature (variations des marées qui rendent les accostages délicats), le canal deVridi qui relie le port à la mer a été complètement rénové par China Harbour Engeneering company (CHEC), suite à un contrat de concession, ce qui permet au port d’Abidjan de recevoir des navires de plus grandes dimensions qu’il y a quelques années », renseigne l’étude des deux chercheurs.



Misant beaucoup sur le marché malien, Dakar et Abidjan savent que Bamako était l’hinterland naturel de la Côte d’Ivoire avant le début de la crise ivoirienne en 2002. Depuis, le Mali, seul pays parmi les frontaliers au Sénégal à ne pas disposer d’une façade maritime, est la destination quasi-exclusive du trafic de transit du port de Dakar. Ce que la Côte d’ivoire ne peut continuer de laisser faire. C’est une trop grosse affaire économique qui rapporte 1400 milliards FCFA (2023) à la rivale dakaroise. En matière d’économie, c’est d’abord chacun pour soi. Ce que Dakar ne semble jamais avoir compris ou alors n’avoir pas suffisamment compris pour rater le rendez-vous leadership de Dakar.

Alors qu’à Abidjan le mot d’ordre est à la reconquête de son marché pour ne pas dire son bien « après la crise qu’a connu le pays entre 2002 et 2012 ». Rien de plus normal pour Ouattara. « Avant la crise, le port d’Abidjan assurait entre 60 et 75 % des échanges extérieurs du Mali selon les années (Steck, 2004). Parmi les stratégies mises en place pour reconquérir ce marché, des mesures incitatives susceptibles de redonner confiance aux chargeurs (Flavient, 2018) », renseigne l’étude des enseignants Dia et Gaye.

Pendant qu’Abidjan s’évertue à rattraper son retard, Dakar qui voit Vincent Bolloré quitter les Docks voit une opportunité de réaliser fast-track une « dynamique de performance » « avec une nouvelle vision stratégique PORT 2023 » devant faire du Port de Dakar le « moteur de l’Émergence du Sénégal » articulé autour de cinq projets phares : 1- faire du port de Ndayane un port de 4ème génération en eaux profondes avec 18m de tirant d’eau avec une capacité de 1,5 million EVP ; 2 – monter une base logistique pétrolière ; 3 – assurer la Gestion des Flux de Camions ; 4 – mettre en place un Guichet Unique Portuaire ; 5 – créer le Port Sec de Pout.

Qu’en est-il advenu de toutes ces promesses portuaires. Pas grand-chose, dit Ousmane Sonko. Des retards, du temps et surtout beaucoup d’argent perdu. De quoi tout revoir pour comprendre que les enjeux n’étaient peut-être que d’hériter de l’après Bolloré.



Pendant ce temps, les infrastructures du port de Dakar prennent de la rouille, devenant vétustes et inadaptées à la taille des navire, pareil pour ses superstructures et ses équipements, sans compter ses connexions inexistantes avec ses ports secondaires, quand on sait que l’anacarde quitte Ziguinchor pour être embarquées à Dakar. Sans compter l’évacuation de la marchandise qui se fait à 99% par camion. Parce que le réseau ferroviaire s’est dégradé. Mieux, on a vendu des kilomètres de rails. On comprend mieux le nombre d’accidents routiers mortels. N’oublions pas la faiblesse du traitement des volumes ainsi que l’attente des navires qui peuvent prendre des semaines, le manque de compétitivité, etc.

Les nouvelles autorités tiennent l’occasion rêvée de faire du Port de Dakar un géant enfin avec autour des rails, industries, etc. Elles n’ont pas le droit de se tromper. L’après Bolloré est à ce prix.

PAR CHARLES FAYE

MADERPOST/ CONFIDENTIEL AFRIQUE

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