La France, confrontée à un déclin de son influence au Sahel, semble retourner progressivement à un état de fragmentation politique et d’instabilité rappelant l’époque médiévale. Cela s’explique par des variables historiques, telles que son passé colonial et les relations changeantes avec les pays du Sahel et autres parties de l’Afrique, qui ont évolué sous l’effet de la montée du nationalisme et des défis de gouvernance locale…
Sur le plan politique, la présence militaire de la France, justifiée par la lutte contre le terrorisme, rencontre un ressentiment croissant, perçu comme un refoulement du néocolonialisme, exacerbant les tensions locales.
Le retrait des troupes françaises du Mali en 2022 ainsi qu’au Burkina Faso, au Niger et bien d’autres encore en Afrique, suivi par l’influence accrue de la Russie via des groupes comme Wagner, démontre ce basculement de pouvoir.
Alors que le locateur de l’Elysée se dit prêt à infliger à tout prix, un échec cuisant à la fédération de Russie en Ukraine, ses rires, autrefois tonitruants, s’étranglent aujourd’hui dans sa gorge.
A la vitesse optique et acoustique, la Russie monte en puissance et, au même moment, à la vitesse de croisière, la France plonge dans la récession économique et la polarisation sociale.
L’Alliance des Etats du Sahel et la rupture d’avec l’héritage colonial français
La métaphore de la France retourne progressivement au Moyen-Age en raison de sa perte de contrôle sur les ressources de la région du Sahel est multidimensionnelle et relève d’une analyse approfondie des aspects historiques, politiques et économiques.
Historiquement, le Sahel est crucial pour la France en raison de son passé colonial et des partenariats postindépendance basé des accords aux contours asymétriquement flous.
Cependant, le nationalisme croissant et les défis de gouvernance locale ont transformé ces relations. Créée en 2024, l’Alliance des Etats du Sahel (AES) est une organisation régionale qui regroupe trois pays de la région du Sahel, notamment le Burkina Faso, le Mali et le Niger, avec pour objectif de renforcer la coopération et la coordination entre les Etats membres dans des domaines tels que la sécurité, l’économie et le développement.
La création de l’AES est perçue comme une rupture avec l’héritage colonial français dans la région. En effet, pendant la période coloniale, la France a exercé un contrôle direct sur les pays de la région, exploitant leurs ressources naturelles et imposant sa langue et sa culture. Avec l’indépendance, les pays de la région ont cherché à se libérer de cette influence et à prendre en main leur propre destin.
Cette indépendance fut escamotée par la Françafrique. L’AES représente donc une belle tentative de ces pays de se regrouper et de coopérer entre eux, sans la tutelle de la France ou d’autres puissances occidentales.
Cela marque une rupture avec l’héritage colonial français, car les pays de la région prennent en main leur propre sécurité, leur propre économie et leur propre développement, sans dépendre aucunement de la France, ou d’autres puissances impérialistes cantonnées dans le schéma de la conférence de Berlin.
Alors que la France se bat lamentablement pour avoir une influence relative dans la région, notamment à travers sa présence militaire et ses intérêts économiques dans certains pays de l’espace régional (Côte d’Ivoire, Sénégal, Bénin, etc.), la rupture avec l’héritage colonial français est donc un processus en cours, qui nécessite une volonté politique forte et une coopération régionale efficace pour se concrétiser pleinement.
Politiquement, la présence militaire française au Sahel, justifiée par la lutte contre le terrorisme, a suscité un ressentiment face à ce qui est perçu comme du néocolonialisme.
Le retrait des troupes françaises du Mali en 2022 (y compris l’ensemble de l’AES) et l’ascension des instructeurs russes comme ceux de l’Africa Corps et du groupe Wagner marquent un tournant, rendant la domination traditionnelle française de plus en plus ténue alors que les alliances locales se diversifient.
L’Alliance des Etats du Sahel est en quête de sa souveraineté politique vis-à-vis des puissances occidentales, notamment la France, qui a longtemps exercé une influence dominante dans la région.
Les pays membres de l’AES cherchent donc à affirmer leur indépendance et leur autonomie dans la prise de décisions, sans être soumis à la tutelle des puissances occidentales impérialistes.
Pour atteindre cet objectif, l’AES met en œuvre une stratégie de renforcement de la coopération régionale et de la solidarité entre les Etats membres, en développant des capacités militaires et sécuritaires propres, en promouvant l’intégration économique et le développement régional, et en affirmant une identité politique et culturelle propre à la région.
Cependant, cette quête de souveraineté politique est confrontée à des défis de moindre importance, notamment la présence militaire et sécuritaire des puissances occidentales dans le voisinage de proximité (Côte d’Ivoire, Sénégal, Bénin, etc.), les pressions politiques et diplomatiques exercées par les puissances occidentales, et les éventuelles divisions et les rivalités entre les Etats membres de l’AES qu’il faille corriger en développant des institutions supra-étatiques à l’image de Liptako-Gourma et de la Confédération des Etats du Sahel. Malgré ces défis, l’AES continue de progresser dans sa quête de souveraineté politique, en cherchant à renforcer sa cohésion et sa solidarité, et en affirmant son identité politique et culturelle propre.
La région du Sahel est ainsi en train de se forger une nouvelle identité politique, qui se veut plus autonome et plus souveraine vis-à-vis des puissances impérialistes.
L’AES et la fin de l’aliénation économique des puissances occidentales
Économiquement, le Sahel est un réservoir de ressources naturelles vitales.
La perte de contrôle de la France sur ces ressources menace non seulement sa stabilité économique mais affaiblit aussi son influence globale sur la scène mondiale. En s’alignant sur d’autres puissances comme la Chine et la Russie de l’Alliance de BRICS, les pays du Sahel rejettent davantage l’hégémonie française.
L’Alliance des Etats du Sahel représente une étape importante vers la fin de l’aliénation économique des puissances occidentales dans la région.
En se regroupant et en coopérant, les pays membres de l’AES cherchent à réduire leur dépendance économique vis-à-vis des puissances occidentales et à prendre en main leur propre développement économique.
Grâce à l’AES aujourd’hui, les pays de la région partagent leurs ressources, leurs compétences et leurs expériences, et mettent en commun leurs efforts pour atteindre des objectifs communs.
Cela leur permet de renforcer leur autonomie économique et de réduire leur vulnérabilité face aux fluctuations des marchés mondiaux et aux pressions des puissances occidentales qui veulent à prix maintenir la main basse sur les ressources de la région.
L’AES favorise également l’intégration économique régionale, en encourageant les échanges commerciaux et les investissements entre les pays membres. Cela contribue à créer un marché régional plus vaste et plus intégré, qui peut mieux résister aux influences occidentales et promouvoir le développement économique de la région.
C’est dans cette perspective que l’AES permet aux pays de la région d’affronter collectivement l’influence des puissances occidentales, ce qui leur donne plus de poids et plus d’influence dans les relations économiques internationales. Cela leur permet de défendre leurs intérêts et de promouvoir leurs propres modèles de développement économique, plutôt que de se soumettre aux diktats des puissances occidentales.
La fin du néocolonialisme dans l’espace AES entraîne la polarisation de la société française
La montée en puissance de l’Alliance des Etats du Sahel et son affirmation comme acteur régional autonome entraîne une polarisation de la société française. Les opinions sur l’AES et son rôle dans la région sont de plus en plus divisées, reflétant des visions différentes de la place de la France dans le monde et de ses relations avec les pays du Sahel.
D’un côté, certains Français voient l’AES comme une menace pour les intérêts de la France dans la région, et craignent que son autonomie ne se traduise par une perte d’influence et de contrôle pour la France.
Ils sont souvent critiques envers les politiques de coopération et de développement menées par la France dans la région, qu’ils jugent inefficaces ou trop généreuses (aveu d’échec de la condescendance).
De l’autre côté, d’autres Français voient l’AES comme une opportunité pour la France de réinventer ses relations avec les pays du Sahel, en passant d’une logique de domination et de contrôle à une logique de coopération et de partenariat égalitaire (aveu d’échec de la françafrique).
Ils sont souvent favorables à une augmentation de l’aide au développement et à une implication plus forte de la France dans les initiatives régionales.
Cette polarisation reflète des divisions plus larges au sein de la société française, notamment entre ceux qui sont attachés à la vision traditionnelle de la France comme puissance coloniale et ceux qui sont ouverts à une nouvelle vision de la France comme acteur global coopératif. Acteur coopératif c’est bien, mais le fait est que le chien ne change jamais sa façon de s’asseoir.
Et, comme l’a si bien dit Thomas Sankara, « quand le peuple se met débout, l’impérialisme tremble ». Au Sahel, le peuple est débout et veille de près sur toutes les manœuvres dilatoires de la France et ses partenaires de l’OTAN.
On peut dire que la France retourne à un état médiéval en ce sens qu’il est indéniable que son influence décline sur des régions stratégiques comme le Sahel. Ce déclin résulte d’une conjonction complexe de facteurs historiques, politiques, économiques et sociaux.
Mohamed Lamine KABA, Expert en géopolitique de la gouvernance et de l’intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »
Source : NEO