Le montant total des irrégularités financières retenus dans le rapport consacré par le BVG à Energie du Mali sont énormes. Il s’élève 92 149 419 533 FCFA de nos francs essentiellement imputables aux augmentations indues du prix de l’énergie achetée par EDM-SA à Albatros avec la caution du département en charge de l’Energie et du président de la Commission de Régulation de l’Electricité et de l’Eau (CREE), mentionne le document.
Le BVG relève, en effet, le constat que le Ministre chargé de l’Energie et la CREE ont irrégulièrement procédé à l’augmentation du prix au profit de l’entreprise privée de production énergétique, passant de 20,3 FCFA à 24,45 FCFA/KWH, en vertu d’un avenant à la convention de concession pour la construction et l’exploitation de la centrale thermique de Kayes.
Et les vérificateurs de dénoncer une démarche ayant fait fi d’un modèle économique requis en la matière entre EDM SA et Albatros alors que le changement de prix implique une incidence conséquente sur le coût de l’énergétique cédé à EDM par Albatros.
En effet, au lieu de 35,995 milliards annuels avec le prix unitaire du contrat initial, l’avenant porte sur la facture du partenariat privé à 43,354 milliards, soit un écart de 7, 358 milliards.
Les révélations du BVG ne sont pas tombés dans une oreille de sourd. Dans une réaction abondamment relayée dans les réseaux sociaux, Albatros apporte à son tour sa version des faits.
Productrice d’énergie à hauteur 90 Mégawatts, l’entreprise explique que l’augmentation des prix s’inscrit dans la droite des dispositions contractiles selon lesquels les tarifs sont révisables au gré d’une adaptation des investissements aux besoins capacitaires et qualitatifs du client.
En clair, d’un investissement initial de 35 milliards, Albatros est passé à 80 milliards en vue d’augmentation sa production par une centrale dont la consommation en fuel lourd est plus faible et revient moins cher à l’acheteur.
Sauf que le rapport est tout aussi accablant au sujet des paiements au même fournisseur pour de l’énergie non produite et non livrée à EDM SA pour un montant total de 18 665 648 762 FCFA entre 2020 et 2022. Selon les vérificateurs, les groupes de la centrale d’Albatros étaient aux arrêts de 2020 à octobre 2023, soit 14 mois environ facturés par Albatros à EDM SA. Idem pour le traitement de la facture d’Albatros pour le compte du fournisseur du mois de février 2024, qui a fait l’objet d’un paiement à hauteur de 1, 283 milliers FCFA pendant que la centrale était l’arrêt depuis juillet 2023.
Là également, le fournisseur ne manque pas d’explications. Celles-ci s’adossent notamment sur la nature et les exigences du «Take for pay ».
Il s’agit d’un partenariat en vertu duquel les investissements au-dessus des moyens de l’Etat sont assurés par un investisseur privé à charge pour l’acheteur exclusif de faire tourner les centrales par la fourniture de combustibles jusqu’à ce que les installations lui reviennent au franc symbolique au terme du contrat.
Il se trouve que l’arrêt de son système de production d’Albatros que relèvent les vérificateurs ne sont pas de sa responsabilité mais plutôt imputable à l’irrégularité de la fourniture de combustible par EDM.
La passe d’armes entre la société privée et les vérificateurs concerne aussi des paiements jugés indus au titre du financement de cuves de stockage de combustibles à hauteur de 1,465 milliards de janvier 2020 à février 2023, sur la base d’une modification des clauses de la convention relatives à la prise en charge des travaux de construction et d’exploitation en y ajoutant une clause qui stipule que «le Fournisseur accepte de réaliser et de financer intégralement l’investissement nécessaire à la construction des cuves de stockage de produits pétroliers sur le Site de la Centrale».
Selon les explications fournies par Albatros dans son communiqué en réaction au rapport du BVG, l’installation d’entrepôts de stockage, selon les clauses conventionnelles, revenait initialement à l’acheteur qui en a finalement transféré la tâche au producteur pour se conformer aux exigences des bailleurs de fond d’une centrale incluant des cuves ainsi qu’à la nécessité de les intégrer dans le système de sécurité de la centrale.
Et Albatros de conclure le démantèlement du rapport du BVG par sa disponibilité à produire 81MW pour palier au besoin de l’économie et de la population à condition que lui soit livré le combustible nécessaire.
Autant dire, en définitive, que la l’équivalent du volume d’énergie livrée par la Côte d’Ivoire reste en souffrance ici au Mali, faute du seul combustible pour faire tourner la centrale.
Mais le manque du fuel lourd n’en est certainement qu’une face visible de l’iceberg. Plusieurs observateurs avertis estiment qu’il ne suffit de la disponibilité de combustible pour exploiter convenablement l’électricité produite par l’Albatros.
Et pour cause : selon des sources concordantes, la fourniture de ce produit est considérée comme un gâchis d’autant que son coût pourrait excéder le prix de l’énergie transportable par le réseau depuis la centrale de Kayes. En clair, c’est la vétusté des installations de transport de l’électricité qui est en cause et déteint sur la pertinence de tout le projet Albatros.
Un aspect passé sous silence dans le rapport du BVG ainsi que dans la réaction qu’elle a inspirée à l’entreprise productrice.
Les vérificateurs se sont en revanche plus extensifs et détaillé sur d’autres aspects de la récente gestion financière du secteur énergétique. Il s’agit entre autres du scandaleux marché d’acquisition des 29 groupes électrogènes attribué à quatre entreprises appartenant à la même personne.
D’un montant cumulé de 1 595 037 860 FCFA, il s’est aussi caractérisé, selon le BVG, par une panoplie d’irrégularités parmi lesquelles le paiement indu d’avances de démarrage sur trois des contrats additionnels, la réception de groupes électrogènes défectueux ou en deçà des spécifications contractuelles – dont l’incidence s’élève à 192 740 940 FCFA, le paiement pour des groupes non livrés à concurrence de plusieurs centaines de millions de nos francs.
En plus des pertes faramineuses imputables aux marchés scandaleux, le rapport relève, des responsables d’EDM sont également épinglés pour d’autres attributions irrégulières en lien avec des marchés de combustibles pour 3 491 086 623FCFA.
Amidou Keita
Source : Le Témoin