L’extrême droite française est en bonne position après le premier tour des élections législatives qui a confirmé sa domination sur la politique française et l’a amenée aux portes du pouvoir…
Les partisans du Rassemblement national (RN) anti-immigration de Marine Le Pen ont applaudi lorsqu’elle a déclaré que « le bloc macroniste du président était pratiquement anéanti ».
Le RN a recueilli 33,1% des voix, suivi par une alliance de gauche avec 28% et le camp Macron avec 20,76%.
« J’ai pour ambition d’être Premier ministre pour tous les Français, si les Français nous donnent leurs voix », a déclaré Jordan Bardella, 28 ans, chef du parti RN.
Une percée aux européennes
Dimanche 9 juin 2024, à l’issue des élections européennes, la liste du Rassemblement national avec à sa tête Jordan Bardella a recueilli plus de 31 % des voix, loin devant la Renaissance d’Emmanuel Macron qui obtient 14,60 % des suffrages. Un score impressionnant de l’extrême droite française à ces élections.
« Ce vote des Français à la seule élection nationale de ce second mandat d’Emmanuel Macron est sans appel. Après les élections législatives de 2022 qui avaient permis de désigner le Rassemblement National comme le principal opposant parlementaire, ces élections européennes consacrent notre mouvement comme la grande force d’alternance pour la France », a exulté Marine Le Pen.
Elle a d’ailleurs réitéré la grande ambition de son parti : « Nous sommes prêts à exercer le pouvoir si les Français nous font confiance lors de ces futures élections législatives », faisant allusion aux prochaines échéances anticipées.
Cette montée en puissance de l’extrême droite s’est fait observer dans la plupart des 27 pays de l’Union européenne, notamment en Allemagne, Autriche, Pays-Bas, etc. La droite nationaliste rafle donc près du quart des 720 sièges au Parlement européen.
Bardella et Marine Le Pen.
CRÉDIT PHOTO,ANDRE PAIN/EPA-EFE/REX/SHUTTERSTOCK
En France, ce score électoral obtenu par le RN a contraint le président Emmanuel Macron à prendre des mesures urgentes, notamment la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation de nouvelles élections législatives prévues le dimanche 30 juin pour le premier tour, et le 7 juillet pour le second tour.
« Je ne saurai donc, à l’issue de cette journée, faire comme si de rien n’est. C’est pourquoi après avoir procédé aux consultations prévues à l’article 12 de notre Constitution, j’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote », a déclaré Emmanuel Macron après la publication des résultats.
Il faut le dire, la montée de l’extrême droite était attendue en France. Mais pas à ce point. L’Afrique francophone doit-elle se réjouir ou s’inquiéter de cette poussée de l’extrême droite ?
L’Afrique francophone doit-elle craindre la montée de l’extrême droite en France ?
Steve Kpoton.
CRÉDIT PHOTO,STEVE KPOTON
Légende image,Steve Kpoton, Consultant en gouvernance démocratique, indique que l’Afrique n’a rien à craindre de l’arrivée de l’extrême droite en France.
Pour ces élections européennes, l’extrême droite a obtenu 30 députés sur les 80 sièges que détient la France. Une victoire somme toute importante, mais qui ne doit pas inquiéter les Etats francophones d’Afrique, selon de nombreux analystes.
Il faut d’ores et déjà rappeler que, de façon classique, les relations entre la France et les Etats africains de l’espace francophone sont organisées au travers des relations bilatérales, dans le cadre de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et des relations entre organisations inter-étatiques, Union européenne notamment et les organisations d’intégration africaine (UA, CEDEAO, CEMAC…).
Et donc, ce sont des relations, selon le Consultant en gouvernance démocratique Steve Kpoton, qui ont tellement évolué de sorte que l’arrivée au pouvoir de Rassemblement National pourrait impacter et influencer de façon significative le fonctionnement ou la vie des Etats africains.
« A priori, l’Afrique francophone ne saurait craindre l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite à travers le Rassemblement national en France », tranche-t-il.
M. Kpoton souligne que la France et les Etats francophones d’Afrique étant regroupés dans une organisation (OIF), chacun a des engagements à respecter envers l’autre. En plus, au regard du fonctionnement du régime semi-présidentiel, c’est Emmanuel Macron qui conserve la main en ce qui concerne les relations internationales.
« Je ne vois pas comment le Premier ministre du Rassemblement national ou de l’extrême droite pourra influencer les choses à ce niveau », précise-t-il.
Il rappelle que l’extrême droite est minoritaire au parlement européen et que c’est la droite républicaine et classique qui est majoritaire. Rien ne saurait changer de façon significative puisque ce Parlement traite avec des organisations comme Union africaine (UA), la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ou encore la CEMAC.
« L’extrême droite a certes remporté une victoire importante, mais c’est sa troisième victoire consécutive lors des trois dernières élections européennes. Et ça n’a rien changé dans le fond », indique Oumar BA, Enseignant chercheur associé au Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS) de Paris, au LAM de Sciences Pô Bordeaux et à CAP AFRIQUES de l’UQAM Canada.
Pour lui, cette victoire est relative. L’extrême droite n’ayant pas encore pris le pouvoir en France.
Le taux de participation est historique (51,83%), cela veut dire que la tendance réelle en France va vers le vote de rupture, le vote anti-système, vu le fait que les Français ont essayé la droite républicaine, le centre-droit, la gauche socialiste, le socialiste-communiste, le socialiste-communiste écologique, « mais ça n’a pas servi à grand-chose parce que tous menaient les mêmes politiques avec la même obsession de remettre sur table les mêmes politiques publiques en assujettissant certains paradigmes de la gouvernance nationale en Europe », selon M. BA.
Et donc beaucoup de Français ont estimé que ces politiques ont été inefficaces, notamment pour la gestion de la Politique agricole commune (PAC) d’un côté, la question ukrainienne de l’autre avec la menace nucléaire d’une guerre mondiale contre la Russie. Le rêve initial des Français et d’ailleurs de toute l’Europe était qu’on aurait une monnaie forte, une stabilité, une maîtrise de l’inflation, des prix, etc.
« Le rêve européen de la modernité, du développement du mieux-être ne s’est pas transformé de façon qualitative pour la plupart des citoyens européens, notamment français. Ils estiment aujourd’hui que peut-être le fait de vouloir de rabibocher avec le discours populiste de l’extrême droite serait une bouée de sauvetage pour ces adeptes », explique l’Enseignant chercheur associé au Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS) de Paris.
Quel est le programme du Rassemblement national ?
Marine Le Pen et Jordan Bardella
CRÉDIT PHOTO,GETTY IMAGES
Légende image,Le Rassemblement national est confiant quant à l’issue des prochaines élections législatives en France.
Douze (12) secteurs sont au coeur du programme du Rassemblement national en France. Il s’agit notamment de l’immigration, du pouvoir d’Achat, de la justice et la sécurité, du logement, de la retraite, de la culture, de l’environnement…
C’est surtout sur la question de l’immigration que les Africains et la diaspora attendent le Rassemblement national de Jordan Bardella et Marine Le Pen.
Concernant justement cette question, le projet de l’extrême droite prévoit d' »accélérer les procédures d’expulsion des étrangers sans papier reconnus coupables de crimes et délits ». Concrètement, Jordan Bardella, s’il accède à Matignon, lèverait dès son arrivée au pouvoir « toutes les restrictions administratives qui freinent les OQTF (obligations de quitter le territoire français) ».
Il entend également durcir les conditions d’accès au regroupement familial, limiter l’accès les aides sociales qui seront réservées au Français. Il prévoit aussi remplacer l’Aide médicale d’Etat (AME) en un fonds qui ne prendrait en charge que les « urgences vitales ». Pour Jordan Bardella, il ne sera plus possible lorsque vous êtes un étranger en situation irrégulière de pouvoir bénéficier de toute la palette de soins gratuite.
Ce discours a toujours été qualifié d’extrême contre les étrangers, notamment les Africains par les détracteurs du Rassemblement national.
Mais pour Oumar BA, il sera difficile pour l’extrême droite de mener des actions qu’elle évoque dans ses discours. Ce sera surtout compliqué de mettre les gens dans les avions et de les renvoyer dans leur pays. « Il y a non seulement le droit, mais les gens vont prendre des avocats », dit-il.
Il y a par ailleurs la systématisation du droit international qui est plus fort que le droit interne. Et il faudra que les quitus puissent valider par les pays de destination, notamment leurs représentations diplomatiques et consulaires.
« S’ils ne donnent pas leur accord, vous ne pouvez pas les embarquer dans un avion pour les ramener chez eux. Il faudrait qu’il y ait la coopération des institutions diplomatiques africaines. Je ne pense pas qu’ils pourront l’avoir facilement », note-t-il.
Il ajoute qu’il y a la réalité économique et financière qu’il ne faut pas ignorer. Même si l’extrême droite sort première aux européennes, il y a le vote barrage qui risque de s’opérer encore une fois contre le Rassemblement national.
Dans tous les cas, le Rassemblement national n’est pas encore arrivé au pouvoir, même s’il a obtenu un score remarquable aux élections européennes. Le premier tour des élections législatives anticipées en France prévues le 30 juin pourra situer l’opinion.
« Il va falloir que le RN pense à de futures alliances s’il veut accéder réellement au pouvoir, et donc gagner les législatives et avoir la mainmise sur le prochain gouvernement », fait remarquer M. BA.
Législatives anticipées, montée au pouvoir de RN, conséquences pour l’Afrique et sa diaspora…
Le président français Emmanuel Macron en discussion avec le président ghanéen Nana Akufo-Addo
CRÉDIT PHOTO,GETTY IMAGES
Légende image,Le président français Emmanuel Macron (R) s’exprime à côté du président ghanéen Nana Akufo-Addo (G) lors d’un débat intitulé en français « Parlons d’Afrique » réunissant des membres des diasporas africaines en France, le 11 juillet 2019 au palais présidentiel de l’Élysée à Paris
C’est au vu de la victoire de l’extrême droite aux élections européennes que le président français Emmanuel Macron a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer des élections anticipées dont le premier tour est tenu le 30 juin. Donc, beaucoup supposent que le RN peut remporter ces élections.
Le RN à Matignon peut impacter beaucoup de choses, selon Steve Kpoton, Expert en gouvernance démocratique. Il pointe du doigt notamment le projet de l’extrême droite qui n’est pas du tout favorable aux Français issus de l’immigration ou d’origine africaine et des étrangers en général.
M. Kpoton souligne que s’il arrive à la diaspora africaine d’avoir des difficultés avec ce projet de l’extrême droite, cela va avoir de l’impact sur les Etats africains de l’espace francophones.
« On sait ce que représente l’investissement de la diaspora dans nos économies respectives et leurs contributions au produit intérieur brut (PIB). Donc toute politique en France qui va compliquer la vie à la diaspora africaine dans ce pays pourrait avoir un impact négatif », avertit Steve Kpoton.
Pour lui, on peut craindre pour la diaspora et pour l’économie de ces Etats africains. Il relativise toutefois, faisant confiance à la bonne structuration de la diaspora africaine, ce qui l’éloignera peut-être des difficultés que pourrait causer l’arrivée du RN à Matignon.
Sur le plan systémique et institutionnel, l’Enseignant chercheur associé au Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS) de Paris ne pense même pas que cela puisse être possible. Il indique que la France va connaître une cohabitation à sa tête, comme on l’a vu avec Jacques Chirac et Lionel Jospin.
« Parce que nous aurons d’un côté le palais Bourbon qui est l’Assemblée nationale, et donc la chambre basse qui sera dominée par l’extrême droite, seule ou avec ses forces alliées, et de l’autre le Sénat qui est la chambre haute qui sera dominée par la droite ou la gauche, et l’extrême droite est extrêmement faible parce que vous savez, elle a 3 sénateurs actuellement contre 388 », déclare-t-il.
Or, en France, l’adoption des lois passe par ce qu’on appelle, la vase parlementaire, c’est-à-dire cela navigue entre les deux chambres. La députation à l’Assemblée nationale en France est une forme d’élection qui est différente de celles européennes. « Parce qu’il s’agit là de désigner ses députés. L’élection est plus coriace, il faut avoir une proximité avec le peuple à l’échelle locale de représentativité. Et puis les gens votent en France de façon fondamentale pour des listes qui ne sont pas xénophobes dans la majorité des cas », explique-t-il.
Pour lui, les électeurs peuvent raisonner de deux manières. La première est de sanctionner la politique migratoire, donc voter contre Macron, les Africains et la diaspora. La seconde, celle qui s’oppose à la première, est de ne pas vouloir ternir l’image de la France à l’international, en plus d’autres problèmes internes. « Et donc à partir de ce moment-là, la logique de la rationalité va changer de dimension, à la fois géospatiale et géoéconomique », souligne l’expert.
Pour M. BA, « il y a une sorte de mixage de la population française ».
Et comme son collègue Steve Kpoton, il évoque le droit international qui ne permettra pas au gouvernement français, si l’extrême droite arrive au pouvoir, de créer de problème à l’Afrique, notamment sa diaspora en France.
« Même ceux qui ne sont pas légaux en France, on ne peut pas les prendre comme ça, les mettre dans un avion et les envoyer dans leur pays », affirme Oumar BA.
Il faut que la représentation diplomatique de l’immigré puisse donner le quitus pour le renvoyer dans son pays. Toute la bataille judiciaire doit s’opérer dans ce cas et c’est l’image de la France qui va être écornée. Sans oublier l’effet de boomerang que cela pourrait provoquer.
Il insiste sur le fait que le mur du réel peut rattraper l’extrême droite si elle met cette politique en œuvre contre l’Afrique et les étrangers en France, au même titre qu’il a rattrapé en Italie Mme Georgia Mélonie qui avait presque la même ligne que le RN.
« Même si par accident le Rassemblement national venait à accéder au pouvoir en étant majoritaire ou par coalition, cela peut déboucher sur une menace existentielle des droits des Africains à vivre en France. Je crois qu’il y a la raison d’Etat qui risque de l’emporter », en plus des intérêts économiques et financiers, les échanges culturels, les liens de coopérations entre les universités.
Il faut compter également la question de la lutte des puissances dans le monde avec la crise ukrainienne. Et donc la France aura tout à gagner à bien traiter les Africains quelle que soit la majorité parlementaire, et donc le gouvernement qui sera issu du scrutin législatif du 30 juin prochain, peu importe les gagnants, selon Oumar BA.
« Les Africains n’ont rien à craindre. Il peut y avoir des tentatives de réformes pour diminuer les flux migratoires illégaux, mais c’est la responsabilité de tout gouvernement de gérer sa politique migratoire à l’image de ses intérêts vitaux », ajoute-t-il, indiquant que cela doit pousser dans ce cas les Etats africains à avoir des politiques publiques compétitives optimales qui puissent permettre le développement et le progrès social en Afrique.
Source : BBC
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