La rectification supposée de la transition semble déraper dangereusement ces derniers temps au détriment de ses protagonistes civils alors que de mon point de vue le dérapage du pays lui, a commencé en 2020 par le coup d’État, car cet acte déjà banni et criminalisé par notre Constitution du 27 février 1992 est la pire des issues à une crise politique quelle qu’elle soit!…
Ce coup d’Etat est le résultat de trois défaillances majeures qui incombent à la classe politique, majorité et opposition comprises, ainsi qu’à la CEDEAO : Le régime en place n’a pas su trouver en son sein les ressorts patriotiques nécessaires à une remise en cause salvatrice qui aurait créé les conditions de la confiance nécessaire à un dialogue constructif avec l’opposition ; par exemple en annulant l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui inversa les résultats des élections législatives, en présentant la démission du Premier ministre et en proposant la formation d’un gouvernement d’union nationale. L’opposition politique a fait de la démission du Président de la République sa revendication principale tout en sachant que l’existence d’un vacuum au sommet de l’Etat créerait un appel d’air inévitable pour une intervention de l’armée, seule force organisée susceptible de remplir ce vide providentiel ! Ce qui fut fait. L’opposition aurait pu accepter ou proposer d’autres compromis dynamiques de rééquilibrage du pouvoir politique afin d’éviter ce scénario. – Défaillance de la CEDEAO en tant que médiatrice de la crise malienne : l’organisation sous régionale a échoué dans cette mission d’abord par la pusillanimité et l’attentisme de son médiateur en titre, l’ancien Président du Nigéria Mr Goodluck Jonathan et aussi et surtout par l’échec patent de la délégation de haut niveau des cinq Chefs de l’Etat de la CEDEAO dépêchée à Bamako qui n’a pas su et pu convaincre le Président IBK de changer tant soit peu sa ligne politique rigide en faisant les concessions politiques majeures indispensables à un compromis avec son opposition en acceptant, par exemple, de congédier le gouvernement en place ainsi que l’assemblée nationale mal élue. Bref, la venue de ces chefs d’Etat à Bamako n’a pas produit les résultats que commandait l’acuité de la crise politique malienne et ses répercussions négatives ont fini par irradier toute la sous-région Alors arriva ce qui devait arriver ! Au Mali, l’empirisme nous enseigne qu’il ne faut jamais se bercer d’illusions sur le partage équitable du pouvoir entre civils et militaires après un coup d’Etat, sauf si l’institution militaire est désorganisée et en situation défavorable comme en 1991. Il ne faut se faire non plus aucune illusion sur une remise du pouvoir à un Président et un gouvernement civils à court ou à moyen terme par des militaires auteurs d’un coup d’Etat sauf circonstances exceptionnelles ! Raison pour laquelle, et contrairement à beaucoup d’hommes politiques et d’intellectuels maliens, je n’ai jamais sous-estimé les capacités des colonels auteurs du coup d’Etat du 18 août 2020 en matière de stratégie et de planification politiques. La caractéristique principale du coup d’Etat de 2020 est que les opposants spécifiquement le mouvement M5 n’avait aucun plan, aucun programme d’appropriation et d’exercice du pouvoir préparé et applicable au cas où le régime chutait, et n’avait aucune idée de ce qui pouvait se passer le jour d’après ; ils furent pris au dépourvu, comme nous tous, par le coup d’Etat. Les militaires au contraire, dont certains figuraient dans la proximité d’IBK, avaient bien préparé et exécuté le coup, étudié parfaitement le terrain, notamment le mouvement M5, ses forces, ses faiblesses, sa capacité de nuisance réelle ou supposée et ses limites. En outre ces colonels qui ont bien étudié et tiré les leçons du coup d’Etat des capitaines de 2012 pour ne pas tomber dans les mêmes pièges que leurs devanciers ! avaient donc et ont toujours gardé un coup d’avance sur les politiques. Depuis sa création, il est de notoriété publique que le mouvement M5 est un mouvement ” hétéroclite “dont l’absence de cohésion et d’unité d’action seront son talon d’Achille au cours de la transition. Cette faille, que dis-je, cette tare congénitale fut exploitée judicieusement par les militaires et ceci dès la désignation du premier Président de la transition où l’on remarquera la seule présence de l’imam Dicko, autorité morale en rupture de ban avec le mouvement politique qui l’avait porté au pinacle. Celui qui était le Président du comité stratégique du M5 n’a eu aucun mot à dire sur la nomination du Président de transition, ni sur celle des membres du conseil national de transition ! C’est dire ! Ensuite, au lieu de tirer les leçons de ce premier revers en analysant les causes, le M5 se lança dans une course frénétique au partage du pouvoir toujours avec un mouvement hétéroclite et disparate sans base idéologique et vision politique. Le mouvement se dispersa encore plus, certains des membres et non des moindres intègrent le Conseil national de transition sans l’aval du comité stratégique, et prononcent même l’oraison funèbre du M5 sur les antennes. Le président du comité stratégique refuse de reconnaître le Conseil national de transition dont il attaque le décret de création devant la Cour Suprême. C’est la guerre ouverte qui est déclarée aux autorités de la transition ! Au bout de huit mois, en mai 2021, les colonels décident d’allumer le second étage de leur fusée en se délestant du premier étage occupé par Bâ N’Daw et Moctar Ouane. Pour légitimer ce second coup d’Etat, ils ont besoin d’une large base populaire et quoi de mieux que certains syndicats, le M5 hétéroclite et une myriade d’associations politiques opportunistes appuyées par une horde de vidéastes ou vidéo man acquis à la cause et grassement rémunérés. Le M5 délesté de son encombrant “Autorité morale ” l’Imam Dicko victime d’une révolution de palais, est enfin convié à la table et ne se fait pas prier, pourvu que le président du comité stratégique réalise son rêve personnel d’accéder enfin à la Primature. Quelle belle revanche sur le mouvement démocratique honni par ce politicien versatile qui en a avalé et fait avaler bien des couleuvres depuis 1991 pour sa propre carrière, noué des alliances improbables avec ses pires ennemis ….. La hache de guerre est enterrée, le M5 obtient la Primature et quelques strapontins ministériels mais aucun ministère régalien. Au cours de la formation de ce gouvernement le Président Choguel K. Maiga aurait dupé ses camarades du comité stratégique dans le choix de certains ministres et frustré beaucoup de membres du M5 qui lui en tiendront rigueur. Aussitôt installé à la Primature, il s’empresse de s’entourer d’un groupe de fidèles au détriment d’autres militants et procède à une purge violente au sein du mouvement mettant à l’écart beaucoup de membres et non des moindres, dont certains membres fondateurs du FSD qui lui avaient permis d’accéder à la présidence du comité stratégique ! Il change de discours, de posture et de costume, se fait désormais le chantre d’un néo souverainisme et néo-panafricanisme agressif, intempestif et disruptif dont le seul signe visible en lui est la tenue vestimentaire du père de l’Indépendance mort dans les geôles de son mentor politique adoré. Le mouvement se disperse et se désagrège de plus en plus, le Président du comité stratégique échoue à fédérer et à créer l’union sacrée du M5 autour de sa personne pour soutenir l’action de son Gouvernement. D’emblée il lie perfidement son sort à celui du Président de la transition et au même moment il entreprend de vilipender et de vouer aux gémonies les partis politiques et les organisations civiles, particulièrement ceux et celles issus du mouvement démocratique qui a renversé la dictature de l’UDPM. Pour les “neutraliser” il règle ses comptes et achève cyniquement d’écarter définitivement la classe politique et la société civile maliennes du chemin de l’union sacrée dont le pays a fortement besoin en ces temps si difficiles. Après avoir désagrégé le M5, il atomise la classe politique et la société civile. Ses querelles avec ses adversaires imaginaires désignés sont désormais en ligne de mire de ses porte flingues attitrés logés au sein de la Primature ainsi qu’une cohorte d’influenceurs échevelés et de cyber-hurleurs sous contrat dont certains en feront bientôt les frais car n’épargnant personne dans leur vendetta vindicative et violente, ni les camarades du M5, ni les membres du CNT, ni certains colonels. Entre-temps les colonels allument le troisième étage et déclenchent le largage, l’an dernier, du deuxième étage de la fusée avec la quasi-totalité des ministres du M5, isolant encore plus le Premier ministre, Président du comité stratégique impuissant. Ce dernier n’hésite plus alors à déclarer à qui veut l’entendre qu’il n’est informé ni partie prenante à certaines décisions importantes dans des domaines en crise comme, par exemple, l’énergie qui plombe pourtant la vie de tous les maliens ou encore le dialogue inter-Maliens initié par le Président de la transition dont les recommandations orientées politiquement confortent le pouvoir des seuls militaires. Au même moment pour combler le vide qu’il constate de plus en plus autour de lui et s’attirer un nouveau public après la défection de la majeure partie du comité stratégique de son mouvement, il publie un livre extrêmement polémique et clivant qui au travers d’une autocélébration outrageuse et impudique fait le procès des régimes et des chefs d’Etat qu’il a servi, avant hier et hier, avec zèle, servilité et obséquiosité. Il obtient l’effet contraire et ce livre vient grossir encore plus le rang de ses détracteurs et de ses critiques déjà nombreux. Le voilà désormais seul, isolé dans le troisième étage de la fusée CNSP, à la merci des pilotes occupants du module qui peuvent le larguer à tout moment, sans parachute, dans l’indifférence générale. Les colonels sont arrivés là où ils voulaient arriver, lui s’est perdu en chemin victime de son aveuglement égoïste en quête d’un destin national que le vote des maliens lui refusait. Le communiqué incendiaire de son dernier carré de fidèles du 24 mai 2024, au nom du M5, qui dénonce la violation d’un supposé ” pacte d’honneur ” informel par les militaires comme si la gestion d’un État peut être adossé à un texte autre que la Constitution, vient planter le dernier clou du cercueil d’un politicien sans envergure qui n’aura jamais su rien incarner de grand au-delà de sa personne sur le plan politique, moral, social et humain.
Malick Touré
Deux femmes ex-ministres nommées ambassadrices Mme Sidibé Dédéou Ousmane à Doha, Diéminatou Sangaré à Abu Dhabi
Source : L’Alternance