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Depuis de très longs mois, le Mali est confronté à des délestages qui ne cessent de prendre de l’ampleur. Dans la plupart des quartiers de la capitale, les coupures de courant peuvent parfois durer 24 heures. Une situation qui plombe l’économie, avec des entreprises à l’agonie et des foyers qui s’enfoncent dans la précarité à cause du chômage. Sans électricité, difficile de maintenir la cadence de production ou de travailler pour subvenir aux dépenses de la famille. Plusieurs secteurs d’activité sont ainsi gravement touchés par cette nouvelle réalité…


Le 3 mai 2024, le promoteur du Complexe culturel BlonBa, le très dynamique Alioune Ifra Ndiaye,  annonçait avec beaucoup de regret la fermeture provisoire de son établissement.  Une décision imposée par 4 raisons, notamment parce que ne pouvant plus compter sur le groupe électrogène apris feu. «Cet outil nous permettait certaines activités génératrices du peu de revenus que nous faisions», assurait le promoteur.


Et de rappeler que, organe indépendant qui fournit du service public culturel depuis 7 ans, le Complexe culturel BlonBa a nécessité un investissement évalué aujourd’hui à plus de 800 millions issus de la vente de ses biens, de prêts (banques et individus), de dons et de subventions. Heureusement que le lendemain, une piste sérieuse évitant cette fermeture provisoire a été discutée avec le très dévoué Kalilou Dama, responsable de YES Inc Mali, une organisation à but non lucratif engagée dans la promotion de la culture entrepreneuriale.

La Société des eaux minérales du Mali (SEMM) avait annoncé le 22 avril 2024 que sa «production se retrouve affectée en raison des soucis de distribution d’électricité». Détentrice de la licence de production de Diago, elle avait assuré que «des mesures ont été prises pour résoudre le problème et des solutions verront le jour très prochainement». Effectivement, dans un communiqué publié le 2 mai, elle a annoncé «la reprise effective et la disponibilité de Diago» dans tous les points de vente habituels.


Tout le monde n’a pas la chance des promoteurs du Complexe culturel BlonBa et de la SEMM. Ils sont nombreux les entreprises, les cliniques privées, les officine de pharmacie, les espaces de loisirs, les artisans, les débrouillards de l’informel… qui sont aujourd’hui frappés de plein fouet par les conséquences dramatiques de cette crise énergétique qui ne cesse de prendre de l’ampleur. «La crise malienne a engendré un ralentissement  total des activités économiques. 

Les difficultés rencontrées suite aux coupures de courant ont alourdi les charges des entreprises et des foyers. Chaque entreprise et chaque famille est aujourd’hui obligée de chercher les moyens de remplacer l’électricité fournie par EDM-SA en misant sur les panneaux solaires, les groupes électrogènes…

En conséquence, les entreprises ferment, les chefs de famille n’arrivent plus à satisfaire les besoins élémentaires des foyers, le chômage grimpe et la pauvreté s’installe», déplore Lassine Traoré, jeune opérateur économique à Bamako.
Déficit de revenus pour faire face aux frais de fonctionnement des hôtels
«La crise énergétique a aggravé l’impact de la crise multidimensionnelle sur notre secteur.

Il n’y a presque plus de clients dans notre hôtel. Il n’y a donc plus de chiffres d’affaires pouvant couvrir les charges de l’établissement. Le prix moyen de nos chambres a chuté car, depuis le début de la crise multidimensionnelle, nous sommes obligés de faire des promos pour attirer la clientèle», indique Nènè, agent de réservation dans un grand hôtel de la capitale. «Pour alléger les charges, l’hôtel est obligé d’éteindre la lumière dans certains endroits et  réduire le nombre d’ampoules dans le hall», précise-t-elle.
«Mes voisins qui travaillent dans la menuiserie métallique ont fermé boutique  pour manque d’électricité…

Ma voisine qui vendait  du poulet et du poisson à débrancher ses congélateurs», témoigne Nènè. «J’ai une tante veuve. Elle avait réussi à monter un petit commerce de jus (gingembre, tamarin, dah rouge…) et de glace.

Cela lui réussissait bien. Malheureusement, elle a été ruinée par les délestages. Non seulement elle ne peut plus conserver le jus pendant longtemps, mais les clients le veulent aussi assez frais ou glacé en cette période de canicule. Les rares commandes qu’elle a de temps en temps ne lui permettent pas de joindre les deux bouts», nous a confié une jeune étudiante.


«Le Mali est un État très affaibli presque sur tous les plans. L’économie sociale est presque  morte suite au ralentissement voire à l’arrêt des secteurs comme les BTP (Bâtiment Travaux publics), mais également les échanges interurbains. L’agriculture est gravement endommagée à cause de l’insécurité. Les prix des denrées alimentaires ont flambé avec par exemple le kilo du riz local qui atteint 500 francs CFA.

Les hydrocarbures ont connu une telle hausse que les déplacements sont limités», analyse Abdoul Karim Dramé, journaliste indépendant, consultant-chercheur.
Pour lui, «l’énergie est le socle de la vie. Toutes les activités économiques professionnelles, culturelles sont liées à l’énergie. On peut se passer des conforts (lumière, ventilation, réfrigérateur…), mais il faut nécessairement de l’électricité pour travailler et avoir un peu revenu pour vivre et faire face à d’autres dépenses vitales».

«Les conséquences de cette crise énergétique sont énormes avec par exemple une administration qui tourne à moitié régime. Les assiettes fiscales se rétrécissent. Les quelques entreprises et commerces bien structurés ne cessent d’être victimes de redressement fiscal abusif. L’État a sans cesse recours aux dettes à court terme.

Les activités des professions libérales sont plombées. Les centres de santé publique ne répondent plus à la hauteur des attentes des patients». Et d’ajouter, «la main-d’œuvre agricole, qui repose sur les migrants burkinabé, a elle aussi été sérieusement affectée… Les conséquences sont donc multiples et touchent tout le monde».


En dehors des ménages, cette crise énergétique affecte sérieusement les industries vitales comme les pharmacies. Les patients peuvent être ainsi confrontés à des pénuries de médicaments et à l’accès aux soins de santé.

Ce qui aggrave leur situation dans un contexte de précarité. Cette crise énergétique a donc exacerbé les problèmes sociaux et économiques auxquels les Maliens devaient déjà faire face depuis plus d’une décennie en mettant en péril leur santé et leur bien-être.


Pas un cas isolé, mais loin de la référence africaine.


Il est vrai que le Mali n’est pas un cas isolé. Faute d’arguments, les «souverainistes» évoquent facilement les cas du Zimbabwe et surtout de l’Afrique du Sud et du Nigeria, les deux géants économiques du continent confrontés à des problèmes de fourniture d’électricité depuis 2022 (la situation s’y est beaucoup améliorée entre-temps).

Mais, comme on le sait, comparaison n’est pas forcément raison. Pour une comparaison objective, il faut tenir compte de la demande, de l’offre, du taux d’accès à l’électricité.


Le Nigeria compte par exemple plus de 223 millions d’habitants, dont 40 % de la population n’a pas accès à l’électricité. Si on tient compte du niveau d’industrialisation du pays, la demande devient encore plus forte par rapport à notre pays où l’industrialisation est encore embryonnaire. L’Afrique du Sud  compte au moins 62 millions, dont 95 % ont aujourd’hui accès à l’électricité.

A noter que 58 % des ménages avaient accès à l’électricité pour l’éclairage en 1996. Sans compter la consommation d’unités industrielles à la pointe technologique.

Au Mali, nous sommes moins de 23 millions d’habitants (22 395 485 000 habitants) alors que le taux de raccordement à l’électricité est au maximum 48 %. En milieu rural, où vivent 70 % de la population malienne, le taux de branchement n’est que de 25 %.

Comme on constate que, ce n’est pas raisonnable de comparer le Mali à des pays comme le Nigeria et l’Afrique du Sud voire le Ghana (où selon la Banque Mondiale, 85 % de la population a accès à l’électricité) et le Sénégal dont l’objectif est d’atteindre 100 % d’accès d’ici 2025.

La réalité, c’est que depuis l’indépendance, il n’y pas eu d’investissements réellement ambitieux et visionnaires dans le secteur énergétique au Mali. Les rares investissements n’ont pas tenu compte de la rapidité de la croissance de la demande par rapport à l’offre.

Nous en payons aujourd’hui les pots cassés avec une économie, déjà sérieusement éprouvée par de longues années de crise multidimensionnelle, totalement à l’agonie.

Moussa Bolly


Source : Le Matin

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