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En ces temps de vaches maigres au Mali, le vote à l’unanimité des membres du Conseil National de Transition (CNT) présents d’une loi qui pourrait assurer aux conseillers nationaux de transition individuellement un montant mensuel tutoyant les 2.500.000 F CFA en guise de salaires et avantages divers a provoqué l’ire d’une frange importante de la population malienne…

Entre incompréhension et indignation, ces maliens semblent être estomaqués par cette affaire mise sur la place publique et amplifiée par la magie des réseaux sociaux. Au-delà des aspects d’équité et d’égalité qu’une telle affaire peut susciter dans le débat public, la science économique va plus loin en s’intéressant spécifiquement aux principaux déterminants pouvant expliquer un tel niveau de rémunération des Conseillers nationaux.
e pense que dans ce contexte de tollé quasi généralisé des maliens suscité par le vote de ladite loi, la principale question est celle de savoir si d’un point de vue économique, les montants perçus par les Conseillers nationaux de transition peuvent être justifiés économiquement ?
Justification économique des salaires et avantages
L’orthodoxie économique soutient que toute rémunération doit être déterminée par l’un des trois (03) éléments suivants pris individuellement ou cumulativement : la productivité du travailleur, le différentiel compensatoire et le talent ou capacités innées du travailleur. Pendant que pour les hétérodoxes, les salaires et les avantages sont le résultat d’un rapport de force entre les employeurs et les employés au sein des structures de production.
La productivité d’un travailleur mesure l’apport de ce travailleur à la production totale. Cette productivité mesurée par heure ou par unité supplémentaire est un indicateur déterminant pouvant expliquer le niveau de salaire d’un employé. Ce qui suppose que dans un environnement économique efficace, il est impossible de payer à un travailleur une rémunération qui est supérieure à sa productivité.
Le second élément pouvant déterminer le salaire et les avantages d’un employé est le différentiel compensatoire. Il stipule que la rémunération d’un employé doit prendre en compte le degré de dangerosité d’un travail ou le caractère dégueulasse du poste en question. Prenant en compte cette dimension, deux postes identiques mais différents sous l’aspect de la dangerosité ne peuvent pas avoir le même traitement salarial. Par exemple, un “simple” militaire et un militaire membre des forces spéciales ou un garde du corps ne peuvent prétendre logiquement au même niveau de traitement salarial.
Le talent ou les capacités innées du travailleur contribue à classer l’employé dans la catégorie des “ressources rares”. Rareté signifiant utilité et disponibilité en quantité limitée. Si un employé présente des caractéristiques innées “rares”, il va de soi que ce dernier puisse prétendre à un niveau de rémunération supérieur à la moyenne des employés. Si tel est le cas, la rémunération de l’employé peut même être assimilée à une rente. Dans la mesure où il ne peut être entièrement expliquée par sa productivité ou pour des différences compensatrices. Songez par exemple aux rémunérations de certaines superstars du foot ou du basketball.
Quant à l’approche défendue par l’hétérodoxie économique, elle soutient que le niveau de rémunération des travailleurs est toujours le fruit d’un rapport de force opposant les patrons aux employés. Dans une telle perspective, la rémunération d’un travailleur dépend de sa capacité de négociation. Plus cette capacité est élevée plus son niveau de rémunération devient important.
Salaires et avantages du CNT et les théories économiques
Est-ce que les indemnités touchées par les Conseillers nationaux de transition (pouvant atteindre 2.500.000 F CFA) peuvent être justifiées par une ou plusieurs des théories présentées supra ?
Le premier élément théorique présenté est relatif à la productivité. Est-ce que les indemnités touchées par les membres du CNT peuvent être expliquées principalement par leur productivité ? La réponse à cette interrogation passe par la détermination de leur productivité. La législation étant le processus de “fabrication” de lois (opposées aux lois naturelles) ; les Conseillers nationaux en qualité de législateurs “produisent” principalement des lois. Si leurs outputs sont les lois votées ou adoptées, alors leur productivité, qu’elle soit moyenne ou par unité supplémentaire doit intégrer cet élément. A ce stade, c’est la mesure de leur productivité qui importe. Dans cette perspective, quelle mesure faut-il retenir ? le nombre de lois adoptées ? Le nombre d’heures passées lors des sessions (ordinaires et extraordinaires) organisées ? Le nombre de ministres interpellés ? La durée des restitutions ? Ou tous ces aspects cumulativement ?
En retenant le nombre de projets de lois et de propositions adoptés comme mesure de productivité des Conseillers nationaux de transition, les données de l’année 2023 montrent que les Conseillers nationaux de transition ont adopté en plus de la loi de finance 2024 près d’une soixantaine de projets et de propositions de loi lors des deux sessions ordinaires (d’octobre et d’avril). Et dix (10) projets et propositions de loi durant la session extraordinaires d’août de la même année. Ce qui conduit à un total de près de soixante-dix (70) projets et propositions de lois en 2023. L’ultime question est celle de savoir est-ce que ce travail peut être expliqué objectivement par la rémunération individuelle perçue par chaque Conseiller national de transition ? En d’autres termes, est-ce que ce travail peut être considéré comme nécessitant une productivité qui soit 62,5 fois supérieure à celle d’un ouvrier malien rémunéré au SMIG ? Ce qui permet d’induire qu’un Conseil national de transition est par conséquent 62,5 fois plus productif qu’un “Smigard” malien. Est-ce réellement le cas ? Je peux répondre sans ambages par la négative à cette question en regardant simplement la composition du Conseil National de Transition (et même par extension celle d’une assemblée nationale).
Le principal critère en plus de celui de l’âge pour être Conseiller national de transition (ou même député) est d’être malien. Aucune qualification préalable n’est exigée préalablement. Ce qui permet de conclure que même un “Smigard” pouvait se trouver Conseiller national de transition (après nomination) ou député (après élection). Et si cela arrivait, il ne deviendrait jamais automatiquement par la magie du poste de Conseiller nation de transition ou de député 62,5 fois plus productif que les autres “Smigards” restés de l’autre côté de la barrière !
Est-ce qu’en se plaçant sur le terrain de la différence compensatrice, il est possible de justifier d’un point de vue économique le niveau de rémunération des Conseillers nationaux de transition ? Est-ce que le travail exécuté par les Conseillers nationaux de transition (ou par les députés) peut être considéré comme plus dangereux ou même plus dégueulasse ou plus risqué que la moyenne des travaux exécutés par les ouvriers percevant le SMIG pouvant justifier un tel écart de rémunération ? Je pense sincèrement que la réponse est un grand non ! Bien au contraire, ce travail est moins dangereux, moins pénible, moins risqué que les besognes exécutées quotidiennement par la majorité des “Smigards”.
La dernière théorie de la série met l’accent sur la détention d’un talent inné ou d’une capacité rare dont dispose le travailleur. Et la détention d’un tel talent ou d’une telle capacité peut garantir au travailleur en question des rémunérations hors normes assimilées à de la rente. Est-ce que les Conseillers nationaux de transition (ou les députés) sont-ils détenteurs de talents exceptionnels ou de capacités rares ? Le processus ayant conduit à la mise en place de ce collège (par nomination) suffit pour montrer que la détention de capacités rares ou de talents exceptionnels ne soit pas la seule disposition retenue lors de la formation dudit Conseil.
La théorie hétérodoxe relative à la détermination des salaires et avantages soutient que contrairement aux théories orthodoxes les rémunérations sont toujours principalement le fruit d’un rapport de force entre “patrons” et “employés”. Ce qui suppose que quand les postes sont moins nombreux comparativement au nombres des employés, les “patrons” peuvent impacter significativement le niveau des rémunérations à la baisse.
Et si la conjoncture est renversée ce qui se traduirait par un niveau faible de travailleurs par rapport au niveau de postes disponibles, ce sont dans ce cas les employés qui auront voix au chapitre. En ce moment, ces derniers peuvent impacter le niveau des salaires et des avantages positivement en leur faveur.
Les Conseillers nationaux de transition (ou les députés) maliens sont en réalité des travailleurs sous des Contrats à durée déterminée (CDD) normalement de cinq (05) pour les députés. Et ils sont employés par le peuple. Si tel est le cas, est-ce que leur niveau de rémunération (atteignant souvent 2.500.000 F CFA mensuellement) peut être expliqué par la théorie hétérodoxe ? Non ! Dans la mesure où suivant les préceptes de ladite théorie, la rémunération n’est point fixe et varie en fonction de la conjoncture économique. Une bonne conjoncture signifiant une appréciation des rémunérations et une mauvaise aboutissant à une baisse des rémunérations. Ce qui est loin d’être le cas pour les Conseillers nationaux de transition (ou les députés). En plus, il ne serait point logique de penser que les Conseillers nationaux de transition sont dans un rapport de force avec “leur employeur” à savoir le peuple. Ces arguments invalident automatiquement la prise en compte de la théorie hétérodoxe comme principale approche susceptible d’expliquer le niveau de rémunération des salaires et avantages des Conseillers nationaux de transition du Mali.
Ce sur quoi je peux être formel quant aux niveaux des salaires et avantages des membres du CNT du Mali est que les théories économiques (orthodoxes et hétérodoxes) ne permettent pas de justifier de l’optimalité de ces rémunérations. Par contre, les niveaux de rémunération que les Conseiller nationaux de transition se sont octroyés valident plus le dicton : “on est mieux servi que par soi-même”. Ce qui fait ces salaires et avantages ne peuvent être objectivement soutenus et expliqués par aucun défenseur de la science économique.                   
Madou CISSE – FSEG

Source : Aujourd’hui-Mali

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