Dans le contexte bouillonnant du Mali, une partie du peuple s’est détournée du champ politique alors que d’autres se claquemurent dans le silence.
Construire un chef-d’œuvre
Le concept de politique traduit l’idée selon laquelle l’homme politique est mu par une exigence de transparence pour gérer les affaires d’un Etat. Suffisamment traité par les philosophes grecs (Platon, Aristote, etc.), le concept de politique renvoie à l’idée que l’œuvre de l’homme politique prend sens dans la réalisation du bien commun.
Dans ce sens, tout projet de société s’attèle à satisfaire les demandes des populations, Ganda-izey en Songhay. Dans le sens noble du terme, être politique, c’est donc défendre l’intérêt général. C’est construire un chef-d’œuvre où la paix, la démocratie, la dignité, la liberté et le bien-être prennent forme.
Être politique, c’est servir son peuple plutôt que de se servir (Weber). Être politique, c’est invalider tout narratif ou toute action qui serait source de haine et de division. C’est être un homme d’État, sensible aux besoins et aux aspirations de ses concitoyens.
Les présidents Modibo Keïta et Alpha Oumar Konaré restent exemplaires. Le 1er pour avoir conduit le Mali à l’indépendance. Le second, pour avoir régénéré la démocratie malienne au sens du débat constructif. Réaffirmons-le, la démocratie reste cet État dans lequel le pouvoir appartient à tous, où le peuple est écouté et entendu.
Elle nourrit l’espoir. Malheureusement, au lieu de réinventer une autre manière de faire de la démocratie, nous avons œuvré à son échec.
Enfin, loin de faire consensus au Mali, le concept de politique interroge les rapports de l’homme politique à la gestion quotidienne de la société. Mais, à défaut de changer le cours de l’histoire, certains hommes politiques se sont couchés devant les défis prétextant la dangerosité du contexte.
D’autres sont devenus des punching-balls pour les tenants du pouvoir. C’est aussi vrai hier qu’aujourd’hui.
Les politiques, boucs émissaires !
En 2012, le capitaine Amadou Haya Sanogo du Comité national pour le redressement de la démocratie et de la restauration de l’État (CNRDRE) enclenche une tragédie répressive contre les hommes politiques. Dans les chaudes journées du putsch de Sanogo, Soumaïla Cissé de l’URD et Modibo Sidibé de
Fare Anka Wuli ont subi la répression punitive du CNRDRE. La presse n’échappe pas aux purgatoires de l’histoire. Le 12 juillet 2012, Saouti Labass Haïdara, Directeur de publication de l’Indépendant, a été hospitalisé à cause de la violence du régime. Le capitaine Sanogo considérait les hommes politiques comme étant les responsables des problèmes du pays.
Mais, en réalité, ces derniers étaient des boucs émissaires pour garder le pouvoir. Sans plus ! La suite, c’est que le pouvoir du CNRDRE devient subclaquant.
Le 27 novembre 2013, le capitaine Sanogo est emprisonné pour la mort de la vingtaine de bérets rouges de l’Armée malienne. Comme toujours, la politique reprend ses droits. Le 11 août 2013, le retour à l’ordre constitutionnel s’est fait à la faveur de l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta à la présidence de la République.
Un parfum dynastique
Signe des temps, le 21 mars 2022, l’ancien Premier ministre et président du parti ASMA, Soumeylou Boubèye Maïga, meurt en détention, accusé dans l’affaire de l’achat de l’avion présidentiel. Maïga meurt en détention pour ses idées.
Pauvre pays ! La paranoïa des influences géopolitiques embrouille notre capacité à agir humainement. Chaque évènement vire à la psychose d’une manipulation d’un camp contre un autre. Les divisions actuelles au sein du M5-RFP en sont illustratives. Plus de recul ! Les libertés se rétrécissent. Tiéman Hubert Coulibaly de l’UDD, Oumar Mariko de Sadi, etc., ont choisi l’exil pour respirer la liberté d’opinion et d’expression. Rappelons que Mariko est une des figures de proue de la lutte contre le pouvoir militaire de Moussa Traoré, gangrené par un parfum dynastique embaumant le Mali. Il s’est battu pour les meilleures conditions de vie des élèves et étudiants du Mali mais aussi pour la République.
D’ailleurs, la République s’impose à chaque fois que le peuple se révolte comme en 1991. Notons qu’elle permet l’acquisition des libertés. Évidemment, le contexte des années 1990 est difficilement comparable à celui d’aujourd’hui. Mais, les enjeux d’accès aux droits essentiels et aux libertés restent d’actualité.
Ambiance sépulcrale
À Bamako, le manque d’électricité et l’affaissement du pouvoir d’achat des Maliens disent quelque chose des situations d’injustice. Face à la crise énergétique, les privilégiés installent des générateurs ou des panneaux solaires. Les défavorisés (les plus nombreux) la subissent. Conséquence : une grogne sociale s’infuse dans les familles et les grins. Le risque de nouveaux moments de conflictualité est important. Même sous les soutiens de surface, il y a désormais des rejets. Il suffit d’écouter les Maliens pour s’en rendre compte.
Ce n’est plus l’Occident qui est pointé du doigt, mais les difficultés des autorités de transition à réguler la crise énergétique. Autre lieu, autre contexte. Dans les régions en tension sécuritaire, les groupes narcoterroristes (EIS, GSIM), attirés par l’absence d’Etat, terrorisent, violent, humilient et tuent, parfois à vol d’oiseaux des camps militaires.
L’accumulation de mauvaises nouvelles provenant des villages, dévastés par les narcoterroristes, rend l’ambiance sépulcrale pour les ressortissants de ces villages à Bamako. Les scènes sont impitoyables. La désaffection grandit. Où sont les droits de l’homme et la sécurité ? Ganda-izey ne désirent que la tranquillité et la paix.
Nécessaire débat politique
Finissons par là où cet article a commencé : la place des politiques dans une transition. On le sait tous : la place ne se donne pas, elle se prend quelle que soit la couleur du régime. Certes, le contexte actuel n’est pas propice aux politiques. Mais, il y a un fait explicatif du mutisme de certains : ils sont malmenés.
Certes, les contextes géopolitiques actuels influencent la marche des Etats.
Mais, rappelons que le jeu politique ne s’impose pas par le bon vouloir, mais par le contradictoire. Le débat politique s’impose pour être inventifs, et sortir de la routine. C’est le lieu pour incuber le droit d’avoir ses propres opinions, de pouvoir dire et écrire ses opinions dans le respect de la loi.
Donc, rien ne nous empêche d’abandonner les politiques-sanctions, des maux sans fin et sans issue. Elles sont l’autre face de la guerre avec ses flammes ravageuses et ses ruses à la Machiavel. Elles suscitent indignation et dégoût. Elles aveuglent. Les conseils des muftis d’un soir sur l’état sécuritaire et politique du pays sont à prendre avec des pincettes, car ils attiseraient le feu.
Certains sont enclins à donner le spectacle ; d’autres à agir contre le ridicule et le mal-être. Ne le prenez pas mal. Aujourd’hui, l’exécutif doit œuvrer pour faire la place aux politiques, aux citoyens, aux associatifs, aux syndicalistes et aux scientifiques. Car tout politique n’est pas qu’électoraliste ou démagogue.
Mais, il peut aussi être un bâtisseur, un amoureux de son pays. Tantôt, un rai de lumière, tantôt un instant de révolte, tantôt un moment d’égarement, mais qui peut changer la vie des Maliens. N’est-il pas ça la politique ?
Écoutons « running » de Norah Jones.
Ne devrait-t-on pas en ce sens amnistier les prisonniers politiques et lever les mandats d’arrêt ?
Mohamed Amara
Sociologue
Source : Mali Tribune