La France a mis fin à l’opération Barkhane. Ce retrait ne signifie pas la fin de la guerre de la France au Sahel. Un nouveau dispositif allégé est d’ores et déjà en discussion avec les pays de la sous-région. Mais il acte la défaite de la force Barkhane face aux groupes djihadistes sahéliens qui ne cessent de gagner du terrain. Retour en cinq actes sur la plus longue opération militaire extérieure de la France depuis la guerre d’Algérie.
Ce premier volet est consacré aux débuts de Barkhane, lorsque la « victoire » semblait acquise aux yeux des Français.
Sur des airs de victoire, le président français François Hollande est venu dans la capitale tchadienne
À N’Djamena, le 19 juillet 2014, tout le monde est ravi. Sur des airs de victoire, le président français François Hollande est venu dans la capitale tchadienne pour annoncer, aux côtés d’Idriss Déby, la transformation de l’opération Serval, lancée un an et demi plus tôt, en opération Barkhane. Transformation et extension : celle-ci n’est plus cantonnée au territoire malien, mais à cinq pays du Sahel, le Mali bien entendu, mais aussi la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et donc le Tchad.
L’objectif, lui, est toujours le même : anéantir les groupes djihadistes sahéliens qui se sont disséminés un peu partout, et surtout dans le sud de la Libye, après l’intervention militaire de la France et la libération des principales villes du Nord-Mali qu’ils occupaient depuis mi-2012. Pour ce faire, la France a imaginé un dispositif comprenant 3 000 hommes stationnés dans une dizaine de bases. « Il ne s’agit pas d’avoir de gros rassemblements mais une présence plus diffuse, pour être au plus près des zones où la menace existe, explique Hollande. L’opération « Barkhane », c’est donc une opération où la France réarticule son organisation pour être au service des principes qui sont les siens mais aussi au service de la sécurité de l’Afrique de l’Ouest. »
De son côté, le despote tchadien ne cache pas sa joie d’accueillir un chef d’État français dans son pays – il s’en délectera lors d’une conférence de presse conjointe, rappelant que seul l président Georges Pompidou avait passé une nuit à N’Djamena avant lui (c’était en 1972). Mais s’il est tout sourire, c’est aussi et surtout parce qu’il ne voulait pas que les militaires français, qui l’avaient sauvé in extremis en 2006 et en 2008 alors que des groupes rebelles étaient aux portes de son palais, quittent son pays. L’opération Epervier, qui avait été lancée en 1986 pour faire face à l’offensive libyenne dans la bande d’Aouzou, n’avait plus de raison d’être depuis longtemps, puisqu’un accord avait été trouvé (en faveur du Tchad) entre les deux pays en 1994. Sa fin était inévitable, et son prolongement était depuis longtemps considéré comme un anachronisme. Avec Barkhane, la France a trouvé une bonne excuse pour rester, et Déby une bonne raison de l’y inviter. Le 19 juillet, Hollande annonce d’ailleurs à son homologue que le quartier général de la force sera installé à N’Djamena, en dépit du fait que le théâtre des opérations se trouve à plus de 2 000 kilomètres de là, dans le nord du Mali.
2014, la guerre est jolie!
À plusieurs reprises, Hollande a clamé la « victoire » sur les djihadistes : le 14 juillet 2013 à l’occasion de la fête nationale ; le 19 septembre suivant, lors de l’investiture de son « ami » Ibrahim Boubacar Keïta à la tête du Mali…
Il est vrai que les succès fulgurants de l’opération Serval ont été au-delà des attentes du président et même des militaires français. En l’espace de quelques semaines, ces derniers ont libéré les villes de Tombouctou, de Gao et de Kidal. Ils ont nettoyé l’Adrar des Ifoghas, considéré comme le « château fort » d’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi). Ils ont tué des dizaines de djihadistes (400 en trois mois, selon un bilan officiel) parmi lesquels des chefs, dont l’emblématique Abou Zeid. Et surtout, ils n’ont eu affaire qu’à une très faible résistance. Il a fallu attendre plusieurs semaines pour que les premiers combats aient lieu dans l’extrême-nord du Mali. Auparavant, les ennemis les fuyaient. Résultat : une conquête express du Nord-Mali et très peu de victimes parmi les soldats français. Quand Hollande se rend à N’Djamena, seuls dix d’entre eux ont perdu la vie. On ne peut pas en dire autant des Tchadiens qui se sont battus à leurs côtés dans l’Adrar des Ifoghas : en l’espace de quelques heures le 22 février 2013, 26 soldats tchadiens ont été tués lors d’intenses combats, et une soixantaine ont été blessés.
Autre succès de la France durant cette période : la plupart de ses ressortissants détenus par les djihadistes ont été libérés. Thierry Dol, Marc Féret, Daniel Larribe et Pierre Legrand, quatre employés d’Areva qui avaient été enlevés en septembre 2010 à Arlit au Niger, ont retrouvé leur liberté en octobre 2013 après d’intenses négociations et la distribution de sommes conséquentes, puisqu’on parle alors d’une rançon de 20 à 30 millions d’euros.
Le Mali a un nouveau président : Ibrahim Boubacar Keïta (IBK)
Ibrahim Boubacar Keïta, candidat de la France
Enfin, le Mali a un nouveau président : Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), qui était le candidat de la France et qui a promis de faire du retour de l’État malien et de la défense de l’intégrité territoriale du pays ses priorités absolues. L’élection s’est relativement bien passée en juillet et août 2013, dans un pays pourtant en guerre, et le résultat n’a donné lieu à aucune contestation – ce qui semblait inespéré quelques mois plus tôt.
Tous ces succès ont valu à la France des réactions admiratives de ses alliés, notamment des États-Unis, qui ont salué l’efficacité de l’armée française, mais aussi de nombre de chefs d’Etats africains, y compris les plus rétifs à la présence française en Afrique (notamment les Sud-Africains et les Nigérians). Pourquoi, dès lors, ne pas tout simplement annoncer la fin de Serval et le retrait des troupes françaises ? Parce que la victoire n’est pas totale, indique-t-on alors à l’état-major. Certes, comme l’expliquent les militaires en parlant des djihadistes, « on leur a cassé les reins ». Mais ils n’ont pas été complètement « détruits ». Les chefs se cachent : Mokhtar Belmokhtar s’est réfugié dans le sud de la Libye, où la guerre civile lui offre un espace de liberté ; Iyad Ag Ghaly, qui a créé le mouvement Ansar Eddine, affilié à Aqmi, est quelque part dans le nord du Mali, près de la frontière avec l’Algérie où il dispose de relais solides ; et Abdelmalek Droukdel, le grand chef, se cache toujours dans le nord de l’Algérie. La France se doute bien qu’ils ne vont pas lâcher le morceau si facilement, d’autant qu’ils ont pu développer de solides alliances avec des communautés mais aussi avec des riches commerçants lorsqu’ils ont occupé les villes de Gao, de Tombouctou et de Kidal en 2012.
Autres intérêts en jeu.
Il s’agit, pour Paris, d’aider ses fidèles alliés qui lui permettent de garder la main sur ses anciennes colonies : Blaise Compaoré au Burkina Faso, Ibrahim Boubacar Keïta au Mali, Mahamadou Issoufou au Niger et bien sûr Idriss Déby au Tchad. De protéger ses intérêts économiques aussi, notamment les mines d’uranium exploitées par Areva au nord du Niger, non loin des fiefs des djihadistes. De maintenir un dispositif militaire important dans son pré carré : il existait déjà des bases à Dakar, à Abidjan et donc à N’Djamena. En voici de nouvelles à Gao, à Niamey, à Madama ou encore à Tessalit. Et puis, il reste deux otages à libérer. Serge Lazarevic et Philippe Verdon avaient été enlevés à Hombori dans le centre du Mali en novembre 2011. En juillet 2014, ils sont toujours détenus par Aqmi – en réalité, Verdon est déjà mort, mais on ne l’apprendra qu’en décembre 2014, après la libération de Lazarevic (elle aussi obtenue après négociation et rançon).
Et puis, si la France reste, c’est parce qu’elle est persuadée que la victoire totale est possible. « On doit finir le travail », disent les militaires à cette époque. La preuve d’un optimisme démesuré ? On parle surtout, à Paris, d’aider les armées sahéliennes à reprendre le contrôle du terrain, et on pense que ça sera possible rapidement. C’est pour cela qu’a été créé en février 2014 le G5-Sahel, qui regroupe les cinq pays où opérera Barkhane, et qui prévoit, outre de coordonner des projets de développement, de constituer une force conjointe censée prendre le relais des militaires français à moyen terme. Officiellement, le G5 est une idée du président mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz. En réalité, c’est la France qui a poussé à sa création. « Avec le G5, on invente quelque chose qui pourrait révolutionner les rapports entre tous ces États et leurs armées, et mettre fin aux réticences des uns et des autres », expliquait un responsable de la force Barkhane en 2015.
Ainsi pendant des mois, la France va dépenser beaucoup d’énergie à mettre sur pied le G5, dans l’espoir qu’il puisse prendre le relais rapidement, et surtout à pousser (voire à forcer) les groupes insurgés touaregs, notamment le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), et les autorités maliennes à signer un accord de paix. Ce sera fait, à Alger d’abord en mai 2015, puis à Bamako en juin 2015. Signé sous l’égide de la communauté internationale, et surtout de la France qui a pesé de tout son poids dans les discussions, cet accord est présenté comme un succès et annonce des jours heureux, veut-on croire à Paris. Il permettra en effet de « pacifier » le nord du pays. Mais il s’agit en réalité d’un cache-misère, car les groupes armés signataires ne représentent plus la principale menace au nord du Mali, loin de là.
Alors que nombre de chefs algériens ont été tués par Serval, Iyad Ag Ghaly prend du poids dans la galaxie djihadiste
Un front plutôt calme
Forte de ces « succès », la France semble se reposer sur ses lauriers. Certes, la force Barkhane continue de traquer les chefs djihadistes. Certains d’entre eux sont tués, et pas des moindres : Oumar Ould Hamaha, dit « Barbe rouge », en mars 2014, et surtout Mokhtar Belmokhtar en novembre 2016. Mais l’objectif fixé aux militaires est vague. Il n’y a plus de ville à reconquérir ou de zone à libérer, comme en janvier 2013 avec Serval. Et l’ennemi est invisible. « Il se terre, et c’est à nous de le trouver », admet un officier en 2015, un an après le déclenchement de Barkhane. L’état-major décide donc de quadriller le terrain en disposant des bases un peu partout et en multipliant les patrouilles sans lendemain, qui ne font que passer dans les villages. Une stratégie d’affichage qui n’aboutit à aucun succès véritable, et qui a même l’effet inverse : alors que la force Barkhane ronronne, les djihadistes reprennent du poil de la bête.
À bas bruit, sans alerter les radars français, ils se réorganisent. Alors que nombre de chefs algériens ont été tués par Serval, Iyad Ag Ghaly prend du poids dans la galaxie djihadiste. Fin stratège et bon connaisseur de son pays, il entreprend de « malianiser » le djihad. Un de ses lieutenants, Hamadou Koufa, s’organise pour étendre la lutte armée au centre du Mali, qu’il connaît comme sa poche. Les chefs arabes du Mouvement pour l’unicité et le jihad (Mujao) de la région de Gao remobilisent les hommes qu’ils avaient recrutés quand ils contrôlaient cette ville, notamment les Peuls du Liptako et du Gourma. Quand les hommes de Koufa attaquent plusieurs villes dans le centre du Mali, en janvier 2015, personne à Paris ne l’avait anticipé. La France est d’autant plus surprise qu’elle ne sait pas grand-chose de cette région. De même, lorsque les Peuls qui avaient rejoint le Mujao à Gao en 2012 reprennent les armes à la frontière entre le Niger et le Mali, la France semble découvrir une situation qu’elle ignorait.
De même, l’exécutif français détourne le regard pour ne pas voir les dérives du régime IBK. Sur le plan de la démocratie, tout va bien : la presse est libre, l’opposition est respectée, les manifestations sont tolérées. Mais la corruption, qui avait atteint des sommets sous le règne d’Amadou Toumani Touré (ATT) entre 2002 et 2012, n’a pas disparu, bien au contraire. Durant les premiers mois de la présidence IBK, les scandales politico-financiers se multiplient. Le FMI et la Banque mondiale s’en inquiètent, au point de geler leur appui budgétaire au Mali à l’été 2014. L’achat de l’avion présidentiel pour un montant de 38 millions de dollars et le mirifique contrat d’achat de matériel militaire pour un total de 105 millions d’euros provoquent un tollé.
Selon le Bureau du vérificateur général (BVG), qui publie un rapport fin 2014, une grande partie de ces sommes (43 millions d’euros) ont été détournées, via notamment des surfacturations. Mais la France ne dit rien. Personne n’en parle deux ans après le début de Barkhane, mais les prémisses du fiasco sont déjà là.
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Source : Mondafrique