La simple évocation de la présence du collectif « Les Soulèvements de la Terre » au Salon de l’Agriculture a aggravé une crise que le chef de l’État souhaitait justement apaiser.
Jeudi 22 février, 16 heures. L’Élysée invite les journalistes à suivre un brief portant sur la visite du chef de l’État au Salon de l’Agriculture. L’occasion pour l’équipe du président de la République d’éventer les plans d’Emmanuel Macron sur place, et de confirmer la tenue d’un « grand débat » pour désamorcer la crise agricole.
Pendant les échanges, les conseillers élyséens affirment qu’il est question « d’associer le plus largement possible », et égrainent quelques pistes. Parmi elles (et outre les organisations agricoles) le PDG de Lidl Michel Berio ou encore le collectif de militants écologistes Les Soulèvements de la Terre. Plusieurs journalistes tiquent. Cette même organisation que Gérald Darmanin a tenté (en vain) de dissoudre ? Cette association accusée « d’éco-terrorisme » par l’exécutif ?
Rétropédalage
Dans la boucle WhatsApp consacrée aux échanges, plusieurs journalistes reposent la question. Réponse sans détour de l’équipe présidentielle : oui, les Soulèvements de la Terre seront bien conviés à ce débat « sans filtre » souhaité par le chef de l’État. En fin d’après-midi, l’information devient publique. Elle suscite un tollé quasi immédiat. D’abord au sein du premier syndicat agricole, la FNSEA.
« L’invitation par le président de la République au Salon de l’Agriculture d’un groupuscule dont la dissolution a été demandée par son propre gouvernement est une provocation inacceptable pour les agriculteurs. J’avais accepté de participer à un débat. Dans ces conditions, je refuse de prendre part à ce qui ne sera qu’une mascarade », tempête dans un tweet publié dans la soirée le président de l’organisation, Arnaud Rousseau. Il est rejoint dans la foulée par son homologue des Jeunes Agriculteurs, Arnaud Gaillot.
Une indignation partagée avec gourmandise par la droite et l’extrême droite, qui y voient un angle d’attaque idéal pour s’en prendre au locataire de l’Élysée et souffler sur les braises de la contestation paysanne. « Décidément, Macron n’incarne rien d’autre que la confusion, le mépris et le désordre », déplore Marine Le Pen, quand Éric Ciotti dénonce une initiative « insupportable ». Face au tollé, l’Élysée amorce un rétropédalage.
Il est 22 h 12 jeudi soir quand l’équipe du chef de l’État prévient la presse : « Pour garantir la sérénité des débats, Les “Soulèvements de la Terre” ne sont pas conviés ». Si le Palais pensait avoir éteint l’incendie, le réveil sera plutôt brutal. Sur BMFTV, Arnaud Rousseau maintient sa décision, en dépit de la déprogrammation du collectif militant. « Je ne serai pas l’acteur de quelque chose que je considère comme particulièrement cynique et qui ne permet pas le dialogue dans de bonnes conditions », dénonce-t-il.
« On ne débat avec ces gens-là »
En parallèle, Les Soulèvements de la Terre ironisent sur la situation, expliquant dans un communiqué que le collectif ne comptait de toute façon pas répondre favorablement à une invitation élyséenne. « Nous n’aurions pas participé à cette supercherie, mais merci pour le spectacle ! », s’amuse l’organisation. Au sein de l’exécutif, c’est panique à bord. Sur TF1, le ministre Marc Fesneau juge l’invitation « inopportune compte tenu du contexte ».
Le même dénonce « un collectif dont le modèle d’expression est plutôt le cocktail Molotov », raison pour laquelle il affirme : « on ne débat pas avec ces gens-là ». Problème, c’était bien le projet du chef de l’État qui, à en croire France Inter, avait même envisagé de convier le groupe Extinction Rébellion, adepte des actions controversées. « Mieux vaut leur donner la parole dans ce cadre que de subir leurs opérations coup de poing », fait valoir auprès de la radio un proche du président, montrant que l’idée était d’inclure les collectifs environnementaux radicaux pour éviter d’être débordé.
En attendant, la pièce maîtresse de la réponse d’Emmanuel Macron à la crise agricole – à savoir l’existence même d’un grand débat – est compromise, avec le refus de la FNSEA. Le ministre de l’Agriculture concédait dans la matinée n’avoir « aucune certitude » sur le maintien de l’exercice. En parallèle, échaudés par la séquence, des agriculteurs défilent dans Paris au volant de leurs tracteurs, tandis que l’organisateur du Salon de l’Agriculture, Arnaud Lemoine, admet sur RTL : « Il faut être honnête, on n’a jamais autant de crises dans la crise ».
À moins de 24 heures de l’inauguration, la situation devient imprévisible, et l’exécutif semble naviguer à vue. Dans un tweet publié peu avant midi ce vendredi, l’Élysée tente (encore) d’éteindre l’incendie. « Les invitations, travaillées avec l’organisation du salon, concernent les agriculteurs, les syndicats agricoles, les industries agroalimentaires, les distributeurs et les associations environnementales représentées dans les instances », insiste la présidence de la République, qui assure que Les Soulèvements de la Terre « n’ont été ni conviés ni contactés ».
Selon ce même communiqué, l’hypothèse qui a mis le feu aux poudres résulte « d’une erreur faite lors de l’entretien avec la presse en amont de l’événement », alors que, comme dit plus haut, l’entourage présidentiel a plusieurs fois été relancé à ce sujet. Et que plusieurs journalistes chargés du suivi de l’exécutif maintiennent que la participation du collectif a bien été discutée entre l’Élysée et l’organisation du Salon.
Quoi qu’il en soit, la confusion n’a fait qu’aggraver la situation en ajoutant de la crise à la crise, alors que le chef de l’État comptait justement sur le Salon de l’Agriculture pour panser les plaies et espérer tourner la page. Au football, on appelle ça marquer contre son camp.
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Source : HuffPost