Après plus de deux semaines d’incertitude, il semble que les ressorts et contrepouvoirs du Sénégal aient fait leur œuvre.
Le président Macky Sall s’est engagé à organiser des élections présidentielles « dès que possible » après que la plus haute juridiction du pays, le Conseil constitutionnel, a bloqué son projet de reporter les élections de ce mois-ci à la mi-décembre.
Lorsque M. Sall a initialement annoncé le report des élections le 3 février – quelques heures seulement avant le début de la campagne – il a cité la corruption présumée au sein du Conseil constitutionnel comme l’une des raisons pour lesquelles les élections n’ont pas pu se tenir le 25 février, comme prévu.
Le parti de M. Sall, ainsi que celui de l’un de ses principaux opposants, Karim Wade, avaient lancé quelques jours auparavant des accusations de corruption à l’encontre de la Cour constitutionnelle. Ils réagissaient à l’exclusion de M. Wade de la liste électorale au motif qu’il possédait la double nationalité française et sénégalaise lorsqu’il a annoncé sa candidature, ce que M. Wade nie.
Certains ont affirmé que l’incertitude politique actuelle au Sénégal a commencé avec la décision du Conseil constitutionnel d’exclure M. Wade, ainsi que d’autres candidats de l’opposition, du scrutin.
Mais le fait que la Cour ait statué contre le président suggère que, malgré les craintes que le Sénégal ne glisse vers l’autoritarisme, l’État de droit fonctionne toujours.
M. Sall a été soumis à d’énormes pressions, tant au niveau national qu’à l’étranger, pour qu’il revienne sur sa décision de retarder les élections. Des manifestations violentes et généralisées ont eu lieu dans le pays. Des personnalités de l’opposition ont condamné cette décision, de même que des chefs musulmans influents.
Les Sénégalais sont fiers de la réputation de démocratie stable de leur pays et beaucoup se sont sentis trahis par sa décision.
Dans une région d’Afrique de l’Ouest où quatre pays sont actuellement sous régime militaire, le Sénégal est considéré par la communauté internationale comme l’un des rares exemples de démocratie fonctionnelle.
Avec une population croissante, des menaces accrues de la part des groupes terroristes et des difficultés économiques généralisées, les analystes estiment que des institutions fortes sont nécessaires en Afrique de l’Ouest pour permettre à ses citoyens de prospérer.
C’est pourquoi de nombreux gouvernements et organisations internationales ont tout intérêt à promouvoir la bonne gouvernance et la stabilité dans la région.
Si le Sénégal devait devenir un autre État autoritaire, beaucoup craignent que l’instabilité qui s’ensuivrait ne menace la sécurité régionale à un moment où le Niger, le Burkina Faso et le Mali, tous dirigés par des juntes, s’éloignent de leurs voisins et souhaitent former leur propre fédération.
Bien que cette dernière décision du Conseil constitutionnel ait été saluée par l’opposition et les activistes, la Cour elle-même n’a pas toujours été aussi populaire. En janvier 2012, elle a décidé que le président de l’époque, Abdoulaye Wade (père de Karim Wade), pouvait se présenter pour un troisième mandat, malgré la limite de deux mandats imposée par le pays.
À l’époque, elle avait fait valoir que le premier mandat de M. Wade relevait d’une version antérieure de la constitution, qui ne prévoyait pas de limite au nombre de mandats présidentiels.
Cette décision a donné lieu à des semaines de manifestations, qui n’ont pris fin qu’avec l’élection du président Sall le mois suivant. Ironiquement, à l’époque, M. Sall avait affirmé qu’il était impossible pour M. Wade de briguer un troisième mandat.
« Un président ne peut pas prolonger son mandat, ce n’est pas possible », a-t-il déclaré pendant sa campagne.
« Il ne peut pas prolonger son mandat même d’un jour, sinon le pays sera plongé dans le chaos, parce que les gens ne reconnaîtront pas sa légitimité et il n’y aura plus d’autorité dans le pays ».
Les détracteurs de M. Sall lui ont rappelé ces paroles au cours des deux dernières semaines, affirmant qu’en retardant les élections jusqu’à la fin de l’année, il s’était en fait octroyé un troisième mandat.
Il a fermement démenti ces accusations, affirmant que le report était destiné à apaiser les tensions causées par l’exclusion des candidats de l’opposition.
Mais depuis quelque temps, on soupçonne ses intentions et on spécule largement sur le fait qu’il essaierait de briguer un troisième mandat.
Ce n’est qu’en juillet de l’année dernière qu’il a confirmé qu’il ne se présenterait pas.
Malgré la décision de la Cour constitutionnelle, de nombreux électeurs sénégalais, en particulier les jeunes, seront frustrés par le fait qu’un autre des principaux opposants de M. Sall, Ousmane Sonko, ne figurera pas sur le bulletin de vote.
M. Sonko a été condamné pour diffamation en décembre, une décision qui l’a empêché de se présenter aux élections de cette année. En janvier, la Cour suprême a rejeté le recours de M. Sonko contre cette condamnation, le rendant inéligible pour les prochaines élections.
Une autre condamnation de M. Sonko, prononcée antérieurement, a donné lieu à de vastes manifestations l’été dernier au Sénégal, où il est populaire auprès des jeunes qui le considèrent comme un candidat anti-establishment.
M. Sonko est toujours en prison, tout comme son second, Bassirou Diomaye Faye, qui figure néanmoins sur le bulletin de vote à sa place. Leur parti, Pastef, a été interdit et appelle à l’insurrection.
Les partisans de M. Sonko ne seront probablement pas satisfaits de la dernière décision du Conseil constitutionnel, car elle ne prévoit pas la possibilité de réinscrire l’homme politique sur les listes électorales.
Malgré la réputation de démocratie relativement stable du Sénégal, le mandat de M. Sall a été entaché par des accusations de recul des droits fondamentaux, notamment de la liberté d’expression et de réunion.
Mais avec cette dernière décision de justice, le Sénégal a montré qu’il pouvait encore servir d’exemple à d’autres pays d’Afrique de l’Ouest sur la manière de demander des comptes à leurs dirigeants.
…………BBC
Source : BBC