L’isolement de la France se durcit au Sahel après la décision de l’Allemagne de rester, comme les Etats-Unis, au Niger, malgré la prise de pouvoir par le Conseil national pour la sauvegarde de la démocratie (CNSP), le 26 juillet 2023. Avant le Niger, la France avait déjà été chassée du Burkina Faso et du Mali.
Le timing a quelque chose de cruel pour la diplomatie française : le 22 décembre 2023 le dernier des 1500 soldats français présents au Niger a dû embarquer dans l’avion pour Paris. Deux jours plus tôt, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius annonçait à Niamey le maintien des 120 soldats allemands déployés à la base aérienne 101 de la capitale nigérienne.
Au-delà de cette annonce, M. Pistorius a assuré que l’Allemagne va poursuivre sa coopération militaire avec le Niger, à travers la formation des forces spéciales nigériennes ; le soutien à une école de formation de sous-officiers nigériens ainsi que l’attribution des bourses de stages en Allemagne.
À la grande satisfaction des autorités militaires qu’il a rencontrées, le ministre allemand a confirmé que son pays entendait soutenir la construction à Niamey d’un hôpital militaire de référence dont le coût est estimé à près de 30 millions d’euros (20 milliards de FCFA). L’Allemagne a très clairement pris le contre-pied de la France dans l’appréciation de la situation créée au Niger par le coup d’Etat qui a renversé le président Mohamed Bazoum le 26 juillet 2023.
Précédent américain
Les Américains ont été les premiers, avant les Allemands, à prendre leur distance avec la France dans leur attitude vis-à-vis du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).
A l’opposé de la diplomatie française, les Américains n’ont jamais rompu de contacts avec la junte qui a pris le pouvoir à Niamey à travers des échanges directs avec le général Moussa Salaou Barmou, chef d’état-major des FAN, et le colonel-major Maman Sani Kiaou, chef d’état-major de l’armée de terre. Ces deux officiers membres du CNSP ont été formés dans les écoles militaires américaines.
Alors que les Français s’épuisaient à exiger le retour à l’ordre constitutionnel au Niger avec le président Bazoum à la tête de l’Etat, les Américains étaient, de leur côté, plus nuancés, prêts à se satisfaire d’une transition courte avec « un agenda crédible ». Sur l’autel du pragmatisme et de la real politique, les Etats-Unis ont dès septembre 2023 repris leurs activités militaires au Niger, faisant décoller leurs drones et leurs avions de surveillance et de reconnaissance. Ils ont officiellement reconnu en octobre 2023 le CNSP comme « autorités de fait » qui dirigent le Niger avant de décider en décembre 2023 que leur nouvelle ambassadrice à Niamey Kathleen Fritzgibbon présente ses lettres de créance à la junte.
De passage au Niger, après le sommet de la CEDEAO du 10 décembre 2023 à Abuja, la Secrétaire d’Etat adjointe en charge des Affaires africaines Molly Phee est allée encore plus loin, en déclarant que les Etats-Unis étaient prêts à reprendre l’intégralité de leur coopération avec le Niger, sous réserve de l’annonce d’un calendrier d’une « transition courte avec un contenu crédible ». L’agenda américain au Niger est clairement très différent de celui de la France.
Jusqu’au-boutisme macronien
Adoptant la même posture que les Américains et les Allemands, les Nations unies ont décidé de désigner une nouvelle Coordinatrice résidente de leur système au Niger, qui présentera prochainement ses lettres de créance aux autorités du pays. L’ONU a également décidé que désormais les autorités au pouvoir à Niamey pourront s’exprimer dans toutes ses instances. Même la CEDEAO est à présent dans une démarche nettement différente des positions figées de la France. L’organisation sous-régionale n’exige plus en effet le rétablissement du président Bazoum, après avoir enterré définitivement son projet d’une intervention militaire. Les différents revers subis depuis le 26 juillet n’ont manifestement pas suffi à ouvrir les yeux de la diplomatie française. La France a finalement tout cédé au CNSP sur les conditions de retrait de ses troupes du territoire nigérien. Alors qu’elle défendait un retrait de ses soldats par Cotonou, au Bénin, la diplomatie française à dû accepter un itinéraire via N’Djamena beaucoup plus long. Paris a également dû avaler les grandes déclarations de Macron pour accepter le départ de Niamey de Sylvain Itté, ambassadeur de France au Niger. Enfin, les autorités françaises ont dû se résoudre à laisser partir le Mont Greboun, avion présidentiel nigérien, qu’elles séquestraient à l’aéroport de Fribourg-Mulhouse depuis le coup d’Etat du 26 juillet. Ironie de l’histoire, la France a même dû avancer les frais de parking exigés pour que l’avion puisse repartir à Niamey, condition posée par la junte pour aménager une porte de sortie honorable à Sylvain Itté.
Mort de la politique africaine
Derrière la succession incompréhensible d’erreurs de la diplomatie française, se cache, en réalité, une vraie absence de politique africaine. En effet, à Paris on n’a pas perçu l’évolution du contexte africain caractérisé désormais par l’émergence de sociétés très actives ; l’arrivée de nouveaux compétiteurs pas les Russes et les Chinois seulement ; une jeunesse connectée aux réseaux sociaux et très exigeante. La diplomatie verticale à force de coups de menton aux dirigeants des ex-colonies, ADN de la politique africaine de Macron et son ancien ministre des Affaires étrangères Jean Yves Le Drian, ne peut pas prospérer dans « cette nouvelle Afrique ». Tant le style que le contenu du discours macronien sur l’Afrique et le Sahel ne passent plus à Bamako, Ouagadougou et Niamey. Or, la plupart des décisions françaises sur le Niger, le Mali, le Burkina Faso ont été dictées par l’Elysée, les diplomates français, et leur cheffe Catherine Colonna, n’ont qu’à suivre les desideratas du Château. Ils n’avaient pas la moindre marge de manœuvre face à « Jupiter ».
Il y a, hélas, peu de chance que la France rectifie le tir, tant est ancré ici l’idée que si elle est en mauvaise posture au Sahel, c’est de la faute des « Sahéliens vendus » à la Russie et de la « propagande déloyale » anti-française qui règne dans la région. A ce prix-là, le retour de la France au Sahel n’est pas pour demain.
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Source : Mondafrique